Violence, guerre et paix dans la Bible – Deutéronome

Violence, guerre et paix dans la Bible – Deutéronome

Violence, guerre et paix dans la Bible – Une analyse des textes de Deutéronome.

 

Selis Claude

Pour entrer dans le livre du Deutéronome

Le Deutéronome est le cinquième et dernier livre de la Torah.
Sa dénomination en français est la transposition de son nom en grec (deuteronomos) qui serait à traduire par ” seconde Loi”.
Il s’agirait en fait de la redécouverte d’un rouleau de la Loi par le roi Josias en 622, à l’occasion de la réfection du Temple. En hébreu cependant, son nom est ” deBarim” (les Discours), visant plutôt les discours (de Moïse) dont est constitué le livret, censés avoir été prononcés juste avant d’entrer en Terre Promise, nous reportant alors au 13° siècle (avant notre ère, bien sûr).

Il est certain que le livret contient des matériaux très anciens (remontant peut-être à Moïse mais à travers une tradition orale de six siècles!). Cependant, sa première édition écrite doit dater du règne de ce roi, grand réformateur religieux (épuration du culte et sa centralisation à Jérusalem) et ayant bénéficié, par ailleurs, d’une conjoncture politique favorable (affaiblissement de l’Assyrie). Cette première édition devait comprendre les chapitres 12 à 26, soit le ” Code deutéronomique” proprement dit, tentative de classement de lois diverses (lois sur le culte, organisation de l’Etat, lois sur la famille, lois de pureté et lois sociales). Dans une seconde phase (le siècle après Josias), une ” Ecole deutéronomiste” (c-à-d un groupe d’adeptes de la Réforme lancée par Josias) a complété la partie “code” par une partie ” récit” (tout le reste du livret sauf le chap.33). Cette ” école” est également l’auteur des livres historiques Josué, Juges, Samuel et Rois (qui auront pour cadre historique l’occupation de la Terre Promise et les débuts de la royauté). La troisième phase daterait d’après l’exil (après 538). On lui attribue le chapitre 33 ainsi que la mise en forme définitive du livret.

Ce mouvement de Réforme deutéronomique est habituellement décrit comme un mouvement d’intériorisation religieuse (” Ma Loi est dans ton cœur…”) et de personnalisation de la religion (” Tu seras mon peuple et je serai ton Dieu” …) où la miséricorde tient une grande place (” Dieu plein de tendresse, lent à la colère et riche en bonté”…). Il est alors assez étonnant de trouver dans ce livret quelques passages (mais précisément ceux qui vont nous intéresser) témoignant de sentiments nationalistes et guerriers. Ils s’expliquent, dans le cadre de la Réforme qui est le sien, par la volonté de remobiliser les consciences, entre autre par la ré-évocation –largement mythifiée- de la conquête de la Terre Promise (sept siècles auparavant …) et de sa motivation religieuse (tout aussi largement mythifiée).

· Textes étudiés

Violence, guerre et paix dans la Bible – Deutéronome

Textes étudiés:
(déroulez ou cliquez sur le texte choisi)

1. Deut. 1,19-46: Pour ou contre la conquête ?
2. Deut. 2,1-23: Des peuples amis
3. Deut. 2,24 à 3,22: Des peuples ennemis
4. Deut. 5,6-22: Une Loi
5. Deut. 7,1-6: Un peuple séparé
6. Deut. 9,1-6: Un Dieu vainqueur
7. Deut. 20,1-20: La conduite de la guerre
8. Deut. 25,17-19: L’ennemi absolu
9. Deut. 33,26-29: Testament de Moïse

Encarts documentaires:
1. Le Herem
2. La réforme de Josias
3. Le Peuple élu

DEUT. 1,19-46:
POUR OU CONTRE LA CONQUETE ?

” Yahvé combattra pour vous”

Cet épisode est repris à Nombres 13 – 14 qu’il simplifie mais dont il garde l’esprit. Il est situé à Qadèsh, cette porte d’entrée dans le ” désert grand et redoutable”. La page de l’Horeb est tournée ; celle de l’accès à la Terre Promise va s’ouvrir. Cependant, le ” don” de cette Terre passera en fait par la conquête armée. Très réalistement, le peuple (en Nombres, c’est Moïse, sur l’ordre de Yahvé) fait faire une reconnaissance du pays. Les douze ” espions” (un par tribu pour symboliser l’initiative commune de ” tout Israël”) reviennent de mission en confirmant : ” Oui, il est beau le pays que Yahvé notre Dieu nous donne” (v.25) mais ils effraient aussi le peuple en décrivant ” un peuple plus puissant que nous, …, des villes immenses dont les fortifications montent jusqu’au ciel” (v.28). Le peuple refuse d’abord de s’aventurer dans une telle conquête. Moïse tente de les rassurer : ” N’ayez pas peur ! Ne tremblez pas devant eux ! Yahvé notre Dieu qui marche à votre tête, c’est lui qui va les combattre…” (v.30). Devant ce défaitisme, Yahvé, en colère, décide qu’aucun des adultes (sauf Caleb et Josué) n’entrera en Terre Promise mais seulement leurs enfants. L’enjeu est en effet bien là : celui de la confiance ou non en Dieu et de l’obéissance à sa volonté.
L’épisode suivant (v.41 à 46) nous montre, a contrario, le peuple décidant seul de partir en expédition contre les Amorites (Amalécites en Nombres), premier peuple faisant ici obstacle sur le chemin de la Terre Promise. La tentative se termine en débâcle car elle ne correspondait pas à ce moment-là, dans ces conditions-là, à la volonté divine.
Nul doute que ce soit l’obéissance à la volonté divine et non à la sienne propre que vise le texte. A l’époque où il a été écrit (deuxième phase rédactionnelle pour toute cette partie 1,1 à 4,43), il ne s’agit plus d’obéir à un quelconque plan de conquête ou de reconquête. Après le déclin assyrien dont a bénéficié Josias, une autre puissance –babylonnienne- a pris la relève. Jérusalem sera assiégée en 598 et la majeure partie de la population envoyée en exil ! L’auteur deutéronomiste prêche ici une obéissance toute spirituelle pour un combat tout aussi spirituel.

DEUT. 2,1-23:
DES PEUPLES AMIS

” N’engage pas le combat avec eux”

Cette étape entre Qadesh et l’Arnon (Jordanie actuelle) se veut toute pacifique. Pour chacun des trois territoires à traverser (Edom, Moab, Ammon), la consigne divine est répétée : ” Ne les attaque pas, n’engage pas le combat avec eux” (v.5,9,19). Cette consigne est justifiée au nom d’un lien de parenté (Edomites présentés comme les descendants d’Esaü [0], Moabites et Ammonites présentés comme descendants de Lot [1]). Selon le récit de Nombres (20,14-21 ; 21,10-32 et 22-23), ce facteur ne joua pas. Sans doute, sommes-nous ici devant une reconstitution théologique (et simplifiée pour la cause) de l’histoire. La volonté du deutéronomiste est d’inculquer le principe même de la fraternité de race et, surtout, que la ” conquête” doit se faire selon le plan de Dieu et non selon les visées hégémoniques de tel ou tel roi. C’est Dieu qui attribue les terres (ou, plus généralement, les bienfaits) et non l’homme qui se les approprie, selon la formule trois fois répétée : ” Car je ne te donne aucune propriété en (ce) territoire ; c’est aux descendants de … que j’en ai donné la propriété” (v.5,9,19). La seule cause juste d’une ” guerre sacrée” est de correspondre au plan divin. La motivation ne peut en aucun cas relever d’intérêts matériels (richesse, puissance, …). Selon le comput de ce texte, cet épisode –où il ne s’est rien passé, sauf de longs détours- a duré 38 ans, le temps que meure toute la première génération du désert en punition pour sa défiance par rapport au plan divin (scène de Qadesh).

DEUT. 2,24 à 3,22:
DES PEUPLES ENNEMIS

” Entreprends la conquête, engage le combat contre lui”

L’épisode suivant se situe entre l’Arnon (affluent de la Mer Morte) et le Mont Hermon (actuelle frontière jordano-syrienne) et concerne deux peuples (Amorites et Basan) considérés comme ennemis. On perçoit donc bien qu’il y a une répartition amis vs ennemis. La consigne divine est ici exactement inverse que pour les peuples précédents : ” Entreprends la conquête, engage le combat contre lui” (2,24 et 31). Le soutien divin est assuré dans l’exécution de l’opération : ” Vois ! J’ai commencé à le mettre à ta merci” 2,31 et 3,2). La guerre psychologique fait partie de l’arsenal : ” Je commence dès aujourd’hui à te faire une réputation terrible, effrayante, …” (2,25). Mais les bonnes manières sont respectées : une ambassade est préalablement envoyée pour demander le libre passage pacifique et sans pillage (2,27-28), dans les mêmes termes que les ambassades en Nombres (Nbr. 21,21-35). Toute l’histoire étant, par a priori, conduite par Dieu, le refus de laisser passer est présenté comme incité par Yahvé lui-même. Le succès dans ces conditions est assuré. A noter qu’il n’y a aucun récit de combat. Seule l’issue est donnée : ” nous l’avons battu ainsi que ses fils et toutes ses troupes et nous avons conquis toutes ses villes” (2,33-34 et formule équivalente en 3,3-4). Le fait que dans les deux cas l’anathème (le herem) soit prononcé (2,34 et 3,6) n’a sans doute rien à voir avec la réalité mais est certainement le signe qu’il s’agit bien de ” guerre sacrée” (c-à-d correspondant au plan divin et donc à mener dans les strictes limites de celui-ci).
La volonté de justifier a posteriori et de faire entrer dans une histoire commune de Tout Israël la présence de deux tribus (Ruben et Gad, ainsi que le clan Makhir de Manassé) en dehors de la Terre Promise proprement dite est l’une des intentions de ce texte (explicite en 3,12-17). Pour le reste, cette histoire ” revisitée” du point de vue théologique semble avoir pour but d’inviter le lecteur du 6° siècle à s’inspirer du comportement –idéalisé- de ses ancêtres du temps de Moïse (13°siècle), en l’occurrence un comportement de soumission au plan divin, le seul profitable. La disposition finale : ” mais tous vos soldats, bien équipés, devront passer le Jourdain à la tête de vos frères, les Israélites …” (3,18-20) est une autre manière d’intégrer l’obligation de solidarité (idem en Nombres 32) de ces deux tribus pour que l’histoire du Tout Israël reste commune malgré que la réalité n’ait sans doute pas été celle-là.
Au moment de passer l’étendard à Josué, Moïse tire la leçon de ce qui est advenu à ces deux peuples ennemis. Le même sort attend ” tous les royaumes où tu vas passer”. Il lui répète ce qu’il avait dit au peuple alors que celui-ci hésitait devant les Amorites (1,29) : ” Ne les crains pas! Car c’est Yahvé qui combat pour vous” (3,22).

DEUT. 5,6-22:
UNE LOI

” Tu ne commettras pas de meurtre”

Le Décalogue est ici rappelé dans les même termes qu’en Exode 20,1-20. Il fera l’objet d’une ” catéchèse” constituant le second ” discours” de Moïse (chap. 6 à 11). Les premiers articles concernent les ” devoirs envers Dieu” ; les suivants, les ” devoirs envers la société”. L’interdiction de tuer doit s’entendre du meurtre privé et non de l’homicide en général puisque l’exécution judiciaire ainsi que le fait de tuer l’ennemi en situation de guerre est permis sinon même requis. Ce commandement veut exclure la vengeance privée (y compris l’antique ” loi du talion”) comme mode de règlement des conflits internes. Il a compris que pour sortir de la violence, il faut déléguer à une autorité tierce (l’autorité judiciaire) le soin de juger des torts et d’imposer une peine socialement réparatrice (qui mette un terme au cycle de la violence). D’où l’interdiction –pour en assurer le bon fonctionnement- du faux témoignage (v.20). Au-delà des faits objectifs susceptibles de perturber gravement la vie sociale (le meurtre, l’adultère et le vol), le texte dénonce avec perspicacité une attitude fondamentalement génératrice de violence: la convoitise.
Le Décalogue ne vaut que pour Israël, dans sa relation à Dieu et dans ses relations internes. Le prendre comme une ” loi naturelle” serait trop solliciter le texte. D’ailleurs, dans la tradition juive, le Décalogue n’a pas connu la ” sacralisation” qu’il a connu dans la tradition chrétienne. Pour le judaïsme, c’est l’ensemble des cinq premiers livres qui constitue la ” Loi” (Torah). La Loi y est plus affaire de disposition globale de l’esprit, manière de voir les choses (rapports avec Dieu et rapports avec la société) et ne se résume pas à 10 articles, d’ailleurs totalement insuffisants pour organiser globalement une société. D’un autre côté, cette Loi se présente comme une loi divine et non comme la simple émanation d’une volonté humaine d’organisation (ni la volonté d’un souverain ni celle d’un peuple). C’est ainsi le principe même de l’hétéronomie qui est posé (pour être efficace, une loi doit venir d’ ” ailleurs”), hétéronomie qui, paradoxalement, permet d’instaurer un lien direct (sans intermédiaire, sans contestations infinies sous divers prétextes) entre l’Autorité et le sujet, tous les sujets étant sur le même pied par rapport à cette Autorité. Le problème est celui d’admettre une Autorité tierce, sans laquelle aucune vie sociale n’est possible et la violence inévitable.

DEUT. 7,1-6:
UN PEUPLE SÉPARÉ

” C’est toi que Yahvé ton Dieu a choisi parmi tous les peuples de la terre”

Cet extrait est une reprise d’Exode 34,11-17 où il était également inséré comme conséquence de l’Alliance. Avant même d’entrer dans le territoire à conquérir, la victoire militaire sur les peuples occupant à ce moment la Terre Promise est annoncée. Dans leur énumération, le nombre de sept est évidemment symbolique du Peuple Elu qui les remplacera sur ce territoire. Les peuples énumérés ne correspondent d’ailleurs pas à sept peuples différents ni d’égale importance (les Hiwwites et les Jébuséens sont des peuples Amorites, les Perizzites sont une tribu hittite ou hourrite, les Girgashites sont inconnus par ailleurs, les Hittites sont un peuple important d’Asie Mineure dont quelques clans étaient peut-être installés en Canaan, les Amorites sont également un peuple important mais plutôt installés en Transjordanie, les Cananéens sont les seuls vraiment identifiés comme habitants de cette terre). La liste en est stéréotypée dans la littérature biblique. La guerre contre ces peuples dans ce territoire est considérée d’office comme ” guerre sacrée” puisqu’il s’agit de réaliser le plan divin.
Mais il y aura une autre guerre à mener : celle des mœurs et de la pureté religieuse … et celle-là n’est pas gagnée d’avance ! D’où les mesures de ségrégations préconisées par le Code (mais relevant peut-être d’une révision ” sacerdotale” du texte, après l’exil, donc de la 3° phase de rédaction). Il s’agit essentiellement de l’interdiction des mariages mixtes (israélite avec non-israélite) par peur de la contamination religieuse par ce biais. Une autre mesure, plus offensive, est la destruction des symboles de ces cultes (” démolir leurs autels, mettre en pièces leurs stèles, abattre leurs pieux sacrés, brûler leurs images” v.5). On sait par l’histoire (et le rédacteur de ce texte le savait aussi) que ces peuples n’ont pas été exterminés, que ces cultes ” païens” n’ont pas du tout été éradiqués et que la ” contamination” est restée un problème récurrent jusqu’à la fin. L’auteur de ce texte se situe donc au niveau d’un rappel d’exigence de pureté religieuse interne au judaïsme. Il était certes conscient (comme les prophètes et le mouvement sacerdotal) de la difficulté de vivre un monothéisme relativement abstrait et de très haute élévation par rapport à une religiosité populaire innée s’attachant à des objets sacralisés au fil des diverses traditions. Il reste que cette volonté de se positionner comme peuple séparé (ou ” élu”, dans un vocabulaire plus amoureux) risquait d’engendrer, par réaction, de puissants mécanismes d’exclusion par les non-élus à l’encontre des ” élus”, y compris à d’autres niveaux que religieux.

DEUT. 9,1-6:
UN DIEU VAINQUEUR

” C’est Yahvé ton Dieu qui marche à votre tête comme un feu destructeur”

Se resituant une fois de plus à la veille d’entrer réellement en Terre Promise, ce discours de Moïse refait le point. La grandeur du futur exploit est à nouveau soulignée dans le style de la littérature épique : ” Tu vas partir à la conquête de nations plus importantes et plus fortes que toi, de grandes villes dont les remparts montent jusqu’au ciel, d’une race de grande taille …” (v.1-2). Le véritable auteur de cet exploit, ce sera Yahvé : ” C’est Yahvé ton Dieu qui marche à votre tête comme un feu destructeur” (v.3a). Les tribus d’Israël n’auront qu’un rôle d’exécutant, selon le schéma de la ” guerre sacrée” : ” alors tu les dépossèderas et tu les feras périr promptement, comme te l’a dit Yahvé” (v.3b).
Les versets suivants montrent bien que l’enjeu de cette représentation est exclusivement théologique. Ce n’est certainement pas le mérite combattant qui vaut au peuple d’Israël cette ” aisance” (toute théologique) dans la conquête ; ce n’est pas non plus son mérite moral : ” ne dis pas en ton cœur : c’est à cause de ma juste conduite que Yahvé m’a fait entrer en possession de ce pays” (v.4a). A noter au passage que, à l’inverse de la littérature épique, l’auteur souligne le démérite de son propre peuple. Ce n’est pas non plus à cause de la perversité de ces peuples ennemis et comme par un jugement de Dieu (une ordalie) à leur égard (v.4b). C’est simplement, de la part de Dieu, le souci de réaliser la promesse faite à Abraham, Isaac et Jacob (v.5).
L’enjeu théologique est donc celui de la part du mérite ou de la grâce dans le Salut. Le Deutéronomiste tranche ici en faveur de la grâce seule [2]. Le peuple d’Israël n’avait pas de mérite à faire valoir. Au contraire, il était ce peuple ” à la nuque raide” (v.6). Il n’avait cessé de l’être et l’était encore à l’époque du rédacteur de ce texte qui lui en fait grief et qu’il veut appeler à plus de docilité spirituelle pour un renouveau religieux.

DEUT. 20,1-20:
LA CONDUITE DE LA GUERRE

” Tu ne laisseras rien subsister de vivant”

Le Code deutéronomique proprement dit (partie originale, datant de la 1° rédaction, donc du 7° siècle) couvre les chapitres 12 à 26. Il est constitué d’un ensemble de lois, coutumes et ordonnances grossièrement groupées par matières (culte, organisation de la cité, droit de la famille, lois de pureté, lois sociales). Parmi celles consacrées à l’organisation de la cité (16,18 à 20,20), une série concerne spécifiquement la conduite de la guerre (20,1-20).
Elle débute par une recommandation générale : ” Quand tu pars en guerre contre tes ennemis, si tu vois (en face de toi) des chevaux et des chars avec des troupes plus nombreuses que vous, n’aie pas peur d’eux ; Yahvé ton Dieu est avec toi, lui qui t’a fait sortir d’Egypte” (v.1). Au-delà du contexte militaire, c’est le thème de la confiance en Dieu qui est ainsi mis en exergue.
Dans un deuxième temps, juste avant la bataille, c’est une harangue par un prêtre qui prend place : ” Ne soyez pas lâches, soyez sans crainte, sans frayeur, ne tremblez pas devant eux ! Car c’est Yahvé votre Dieu qui marche avec vous ; il combattra pour vous contre vos ennemis et vous donnera la victoire” (v.2-4). Dans la théologie de l’histoire du Deutéronomiste, la victoire ne peut qu’être attribuée à Dieu, elle ne peut être assurée que si on est bien dans le cadre de la guerre sacrée. Toutes les armées de l’Antiquité étaient accompagnées de prêtres afin de consulter les divinités avant d’engager une bataille. Il est assez curieux ici que ce soit lui qui harangue les troupes.
Interviennent alors des scribes (des fonctionnaires royaux, ce qui réfère à une organisation de l’armée datant de l’époque royale –soit 10°/9° siècle- alors que l’épisode est censé se passer à l’époque patriarcale –soit 13°s- !). Ceux-ci exposent aux combattants potentiels (il doit donc s’agir de mobilisation générale, ce qui nous reporte également à l’époque royale) les trois exemptions prévues statutairement : ceux qui viennent de bâtir une maison, qui viennent de planter une vigne ou qui viennent de se fiancer (v.5-7). Dans les coutumes sémites, il semble que le fait de priver ces trois catégories de personnes de bénéficier dans l’immédiat de leur situation risquait de porter malheur à l’ensemble. On peut aussi y voir tout simplement un aménagement –très réaliste- pour assurer la survie biologique et matérielle de la nation malgré la guerre. Les scribes permettent ensuite également aux poltrons de quitter les rangs (v.8), écartant ainsi ceux qui pourraient démoraliser les troupes mais aussi procédé très habile pour impliquer la fierté de chacun. Les scribes désignent enfin les chefs (v.9). On est donc loin d’armées permanentes bien organisées !
Quand les opérations sont engagées et avant d’attaquer effectivement une ville, le Code prévoit de d’abord proposer un arrangement pacifique (v.10). En cas d’acceptation, la ville est épargnée mais toute la population est emmenée en esclavage (v.11). Si elle n’accepte pas, toute la population mâle doit être tuée (v.12-13), tandis que tout le reste peut être considéré comme butin (v.14). Cependant, s’il s’agit de villes situées en Terre Promise, tout doit être voué au ” herem” (destruction totale) (v.15-17). La raison invoquée pour cette sévérité est à nouveau le danger de contamination religieuse (v.18), seul vrai souci de l’auteur. Ce Code de conduite de la guerre se termine par l’attitude à adopter vis-à-vis …des arbres ! S’il s’agit d’arbres fruitiers, on ne pourra pas les abattre pour en faire des engins de siège, sinon oui (v.19-20).
Comme tel, ce ” code” est tout à fait incomplet et inopérationnel. Il n’a d’ailleurs pas été écrit pour être utilisé. Il réutilise quelques règles caduques pour servir de cadre à deux idées (explicitement citées par l’auteur) : la confiance en Dieu et la pureté de culte pour un combat spirituel.

DEUT. 25,17-19:
L’ENNEMI ABSOLU

” Rappelle-toi ce que t’a fait Amaleq”

Toujours dans le cadre du Code deutéronomique (chap.12 à 26, noyau du livret), en fin d’un ensemble de ” lois sociales” diverses mais apparemment sans lien avec celles-ci, interviennent deux versets de type plutôt historique : ” Rappelle-toi ce que t’a fait Amaleq quand vous étiez en route après votre départ d’Egypte, comment il t’a pris à tes arrières, à tous les épuisés que tu laissais derrière toi, tellement tu étais fatigué, fourbu” (v.17-18a). Le vice visé semble être la fourberie, la lâcheté et on comprendra, a contrario, qu’Israël est prié de ne pas tomber dans ce genre de pratique, pas plus que la fraude (v.13-16) et autres vices.
Mais la condamnation semble particulièrement sévère (bien que vague). Elle l’est surtout par son caractère permanent : ” Quand Yahvé ton Dieu t’aura mis à l’abri de tous les ennemis qui t’entourent, dans ce pays dont il fait le patrimoine que tu dois occuper, tu effaceras ici-bas le souvenir d’Amaleq. Ne l’oublie pas.” (v.19). Ni l’oubli, ni le pardon ne pourront concerner Amaleq, ce qui signifierait qu’au-delà du cas historique (ce peuple n’existait plus depuis plus de 400 ans à l’époque de rédaction de notre texte !), il y aurait, pour Israël, des choses ou des personnes qui incarnent le mal absolu. Ce concept est caractérisé dans le texte par la formule ” c’est qu’il ne craignait pas Dieu” (v.18b). N’ayant pas de respect pour Dieu, il n’y a pas non plus de respect pour l’homme. Le fait de s’en prendre lâchement à des démunis en est le signe. La portée du texte est donc bien plus fondamentale que la condamnation d’une ruse de combat parmi d’autres. Ce manque de respect de l’humain (allant de pair avec le non-respect de Dieu), Israël risque de l’oublier lui aussi quand il sera bien installé, sans crainte matérielle ! C’est donc un ennemi intérieur à combattre sans relâche, sans merci.

DEUT. 33,26-29:
TESTAMENT DE MOISE

” En Yahvé est le bouclier qui te secourt et l’épée en marche qui te mène au triomphe”

Cet ultime discours de Moïse avant sa mort accorde à chaque tribu une bénédiction. C’est un genre littéraire typiquement patriarcal, imitant d’ailleurs ici les ” Bénédictions de Jacob” (Genèse 49). Ces bénédictions testamentaires étaient l’occasion de souligner un défaut ou l’autre, une qualité ou l’autre de chaque descendant et de stigmatiser un destin (et non de le fixer ! puisque ces textes ont été écrit des siècles après leur situation historique supposée).
C’est dans la conclusion à ces bénédictions, dans la partie concernant donc le ” Tout Israël” (thème cher au Deutéronome), que l’on retrouve pour une dernière fois une présentation des choses en termes guerriers (ici, dans une partie relevant de la 3° rédaction, post-exilique, alors qu’on est censé être à la veille de la conquête de la Terre Promise).
Le soutien de Yahvé à cette entreprise de conquête est exprimé en termes épiques : ” Il n’a pas son pareil ton Dieu ; il enfourche les cieux pour venir à ton aide ; dans sa majesté, il chevauche les nuages” (v.26). Son soutien est passif : ” C’est un refuge que le Dieu de toujours ; ici-bas ses bras sont toujours là” (v.27a) mais aussi actif et incitatif : ” Il chasse l’ennemi devant toi. ” Spprime-le”, c’est son ordre” (v.27b). L’aboutissement de cette action est la sécurité pour Israël : ” Israël est établi en un lieu sûr” (v.28a) ainsi que sa prospérité : ” sur une terre à blé et à vin …” (v.28b), et, finalement, son bonheur : ” Quel bonheur que le tien, Israël” (v.29a). Le poème se termine en rappelant que cette victoire est due à Yahvé : ” Peuple victorieux grâce à Yahvé…” (v.29b), selon le schéma répété tout au long du livret.
Si donc le livret rappelle si fortement que le don de la Terre (en fait la conquête assistée par Yahvé) était intimement lié au don initial de la Loi (à Moïse au Sinaï) à la condition absolue de se conformer à cette Loi, il se peut que, au moment de retrouver sa Terre (le retour d’exil étant le contexte historique de cette 3° phase de rédaction), l’auteur veuille surtout en faire une occasion de retourner à la Loi. Plus même, étant donné l’expérience (d’avoir perdu un moment cette Terre), il se peut que l’auteur veuille créer un autre type d’identité, non plus lié à une Terre, mais à une intégrité religieuse de sorte que le Peuple puisse ” rester fidèle” dans n’importe quelles circonstances de l’histoire. Tout ce qui est dit du combat pour la Terre devrait alors être compris d’un autre combat, celui de la pureté et de la fidélité à des convictions religieuses.

Violence, guerre et paix dans la Bible – Deutéronome (encart 1)

LE HEREM

Il s’agit d’une mesure de guerre commune aux peuples du Moyen-Orient antique consistant à tout détruire de l’ennemi après sa défaite (tuer toute la population, tout le bétail et brûler tous les biens). Cette mesure devait être exceptionnelle et répondre à un besoin de vengeance totale suite à une résistance farouche. En effet, la coutume (et d’ailleurs le but) des nombreuses guerres entre clans, tribus ou peuples était de faire des esclaves et d’emporter du butin (économie guerrière) et certainement pas de tout détruire. Les tribus d’Israël ont sans doute procédé de même à l’époque pré-royale (12° – 10° siècle).
A l’époque où l’auteur de cette partie narrative du Deutéronome écrit (6°s.), Israël était dans l’incapacité de mener une quelconque guerre mais était au contraire victime des autres peuples (égyptien et babylonien). Le concept de ” herem” est utilisé par l’auteur pour signifier à quel moment, dans sa reconstitution de l’histoire, on est dans le cadre de la ” guerre sacrée” et à quel moment non. Et en effet, le ” herem” n’est proclamée que quand il s’agit de cités situées dans la Terre Promise que Yahvé voulait donner à Israël et non quand on voudrait conquérir du territoire par intérêt matériel personnel. Le ” herem”, dans le Deutéronome, ne porte pas sur le caractère cruel et destructeur mais sur le caractère désintéressé de l’entreprise et sur le fait qu’elle cadre avec la volonté divine.

Violence, guerre et paix dans la Bible – Deutéronome (encart 2)

LA REFORME DE JOSIAS

Josias fut roi de Juda à un moment très particulier de l’histoire politique du Proche-Orient antique : l’Egypte avait été affaiblie par la Puissance assyrienne mais celle-ci, aussitôt après la mort d’Assurbanipal en 627, déclina très rapidement. La Puissance montante (les Babyloniens), toute occupée à abattre l’Assyrie, n’était pas encore présente en Palestine. Josias en profita pour reprendre son indépendance et même pour reconstituer l’ancien royaume de David et Salomon. Roi pieux et fidèle, il en profita également pour rejeter les divinités assyriennes, cananéennes et autres du Temple de Jérusalem et des pratiques religieuses en général. Au cours de travaux de réfection du Temple, on découvrit des Rouleaux en 622, vieux d’une centaine d’année, contenant la Loi dite de Moïse (en fait, sans doute, le Code d’Ezéchias, arrière grand-père de Josias, roi de Juda de 719 à 699). Josias en fit grand cas et se vit encouragé à renforcer sa lutte contre le syncrétisme religieux au profit d’un monothéisme strict et d’une religion plus éthique et spirituelle que simplement cultuelle. Il voulut faire un pas de plus en supprimant les lieux de culte autres que le Temple de Jérusalem afin d’empêcher effectivement le maintien de syncrétismes locaux ou leur retour. Largement soutenues par les cercles religieux ” yahvistes” (dont le prophète Jérémie), ces mesures rencontrèrent une opposition populaire certaine et ne furent pas un succès sur le terrain. Cette volonté de centralisation du culte à Jérusalem correspondait peut-être aussi à une volonté de centralisation politique et de restauration d’une identité nationale forte. Dès la mort de Josias en 609, la situation allait déjà changer (en 587, Jérusalem était détruite par le Babylonien Nabuchodonosor) mais le mouvement religieux qu’il avait lancé persistera. Il donnera lieu à une ” école” deutéronomiste et inspirera les Prophètes.

Violence, guerre et paix dans la Bible – Deutéronome (encart 3)

LE PEUPLE ELU

L’idée que le peuple hébreu soit un ” peuple élu” est un thème fondamental du courant deutéronomique. Il ne s’agit pas de prôner l’exclusivisme mais plutôt d’exprimer le caractère ” affectif” de la relation entre Yahvé et son peuple. Habituellement, dans les mentalités du Moyen-Orient antique, l’importance de la divinité était proportionnelle à l’importance du peuple. En choisissant Israël, peuple politiquement insignifiant et habituellement opprimé, Yahvé fait un choix ” irrationnel”, contraire à la logique habituelle. C’est donc une tout autre conception de la divinité qui est ainsi montrée : celle d’un dieu pour qui le nombre et la puissance humaine n’est pas un critère pertinent. Au contraire, ce dieu choisit délibérément ce qui est petit, faible et opprimé. Ce n’est pas non plus le mérite moral qui l’aurait fait choisir ce peuple mais un pur engagement gratuit et, à la limite, unilatéral de sa part. On ne pourrait donc concevoir un sentiment de supériorité à cause de cette ” élection” puisqu’elle stigmatise plutôt une situation d’infériorité! Cependant, cette élection donne à ce Peuple une mission particulière vis-à-vis des Nations (celle de représenter cette autre conception de la divinité), responsabilité lourde et difficile à porter et point du tout privilège acquis.

(0) Fils d’Isaac, frère de Jacob (Gn.25;36).
(1) Neveu d’Abraham (Gn.11).
(2) La question sera reprise par St Paul dans l’épître aux Romains et sera encore un des points essentiels de divergence entre le protestantisme et le catholicisme.

Bibliografie

BIBLIOGRAPHIE

* Sur le Deutéronome en général:
– BUIS et LECLERCQ, Le Deutéronome, coll. Sources Biblique, Gabalda, Paris, 1963.
– MAYES, A., Deuteronomy, The new Century Bible Commentary, Eerdmans, Grand Rapids (USA), 1981.
– NIELSEN, E, Deuteronomium, Handbuch zum AT 1/6, Mohr, Tübingen, 1995.
– STEINMANN, J., Deutéronome, DDB, Paris, 1961.
– WEINFELD, M, Deuteronomy, The Anchor Bible, Doubleday, N-Y, 1991.

* Sur la guerre dans le Deutéronome:
– ROFE, A., Deuteronomy, chap.11 : The Laws of warfare in the book of Deuteronomy, Clark OTS, 2002, pp. 149-167.
– von RAD, G., Studies in Deuteronomy, chap.4 : Deuteronomy and the Holy War, SCM Press, London, 1953, pp. 45-59.

Geen reactie's

Sorry, het is niet mogelijk om te reageren.