Violence, guerre et paix dans la pensée latine

Violence, guerre et paix dans la pensée latine

Violence, guerre et paix dans la pensée latine. Une analyse.

 

Selis Claude

Présentation générale :

Cette seconde livraison concerne l’Antiquité latine. Les Romains n’ont pas tellement écrit et la qualité de leur littérature est assez piètre malgré qu’ils disposaient d’une langue très précise dans le vocabulaire et dans la syntaxe. Sa profondeur et sa créativité philosophique sont à peu près nulles. Les plus philosophes des Romains (comme Cicéron ou Marc-Aurèle) ont à peine intégré quelques bribes de philosophie grecque décadente (le stoïcisme). C’est, finalement, une sélection de huit auteurs et donc de huit œuvres de César à Marc-Aurèle (soit du 1° avant notre ère au 2° siècle de notre ère), période la plus féconde des lettres latines, qui est présenté ici, augmentée d’une dizaine d’encarts didactiques.

Mais l’intérêt des Romains réside dans le fait qu’ils ont été d’extraordinaires administrateurs et qu’ils ont réussi à gérer –harmonieusement pendant toute la pax romana- un immense empire multiculturel et muticonfessionnel. En dehors des faits de guerre (quoique très ordonnée et disciplinée), les Romains ont réellement pratiqué le respect des personnes et des peuples. Si donc une enquête à travers leur littérature leur est défavorable, il faudrait la corriger par une enquête –à faire- sur les valeurs de civilisation à travers les institutions romaines.

· Auteurs étudiés

Violence, guerre et paix dans la pensée latine

Auteurs et œuvres:
1. CESAR, La guerre des Gaules
2. CICERON, Des Devoirs
3. SALLUSTE, La guerre de Jugurtha
4. TITE-LIVE, Histoire romaine
5. SENEQUE, De la Clémence
6. TACITE, Annales
7. PLINE LE JEUNE, Panégyrique de Trajan
8. MARC-AURELE, Pensées pour moi-même

Encarts
1. Synoptique Evénements / Idées
2. Les grandes batailles
3. L’armée
4. L’armement
5. La guerre dans la mythologie
6. Autres auteurs (notices brèves)

– La pax romana (voir Tacite)

JULES CESAR:
La guerre des Gaules
[0]

” Veni, vidi, vici”[1]
On ne trouvera pas le nom de Jules César dans les manuels de philosophie politique. Et pourtant, comment passer sous silence le plus célèbre des généraux d’armée et cet écrit, le plus ancien concernant nos régions? Au-delà de la relation de faits d’armes, l’auteur ne livrerait-il pas, ne fut-ce qu’indirectement, certaines conceptions personnelles sur la guerre, ses violences et la manière d’y mettre un terme ? Ses actes mêmes n’en trahiraient-ils pas?
César (101 – 44 av.J-C) prit certainement des notes au cours même de ses campagnes en Gaule (de 58 à 51 av.J-C) et utilisa celles de ses lieutenants pour rédiger ses rapports annuels au Sénat. Remis en forme avec quelques remaniements et compléments documentaires, le livret était prêt.

Tout donne à croire qu’il s’agit d’une œuvre militaire. La matière, bien sûr, mais aussi le style bref, précis, descriptif. Des faits, rien que des faits. Même les récits de batailles (de Gergovie ou d’Alesia! au livre VII) sont relatées sans pathos mais dans leur technicité. Au passage, on apprendra de César l’importance du renseignement militaire, de la stratégie et du professionnalisme dans l’art militaire plutôt que de la force brute.
Mais la véritable portée de l’œuvre est politique. L’enjeu de la conquête des Gaules n’était pas la conquête des Gaules mais bien, pour César, de damer le pion du point de vue du prestige par rapport à Pompée, son rival politique à Rome. La conquête des Gaules lui apporta aussi de fameuses richesses personnelles, l’appui d’une classe marchande, une puissance armée sous son commandement (il commença avec une légion, il termina avec sept), une armée attachée à sa personne. Tous ces éléments furent déterminants au profit de César dans la guerre civile qui l’opposa dans la foulée (en 49 – 48) à Pompée.
Mais César se forgea aussi sans doute en Gaule une vision politique qu’il traduira efficacement en politique lorsqu’il eut le pouvoir (48 à 44), faisant ainsi passer Rome d’un régime de ” République” à un régime d’ ” Empire”. Plutôt qu’une République où le pouvoir était concentré entre les mains de quelques familles romaines d’origine qui ne considéraient les conquêtes que comme des sources de revenus, César avait compris que l’Empire serait fait de nations largement autonomes, égales entre elles et organiquement liées à Rome (…mais dorénavant sous l’autorité d’un empereur plutôt que d’un sénat).
Qu’apporte cette œuvre du point de vue philosophique ? Sans en faire la théorie, César est manifestement un représentant parfait du réalisme raisonné, calculateur, sans passion ni esprit de vengeance mais jusqu’au dernier degré de cynisme, autant dans les affaires militaires que politiques. Il ne s’offusque pas de la cruauté [2] mais veut éviter, autant que possible, les cruautés inutiles. A une certaine occasion, il donne expressément comme consigne de ” ne nuire qu’à l’ennemi” (V,19). Il sait aussi faire preuve de mansuétude et le fait remarquer [3]. Il fait deux ou trois fois allusion à un ” droit de la guerre” mais sans préciser et plutôt pour se justifier. Sans s’étendre sur le sujet, César éprouve également quelques fois le besoin le besoin de justifier ses conquêtes ou telle campagne. Il s’agit bien sûr toujours de défendre les intérêts ou l’honneur de Rome ou de défendre des alliés gaulois contre les Germains (mais jamais de ses propres ambitions…). L’option militaire n’est pas la seule qu’il accepte d’envisager et il ne refuse jamais des demandes de négociation. Il y accorde autant d’importance et de soin qu’à préparer ses campagnes. La guerre ne fut pas son but mais seulement un moyen. Il sut faire la guerre mais il sut également faire régner la paix.

CICERON:
de Officiis

” Quand une guerre est-elle juste?”

La très célèbre théorie de ” la guerre juste” développée par St Thomas d’Aquin au 13°s. (et encore précisée par Vittoria et Suarez au 16°) trouve son origine chez St Augustin (4°s.) qui lui-même se réfère à Cicéron (1°s. av.J-C).
Après une formation d’avocat et à la philosophie grecque, Cicéron (104 à 43 av.J-C) fut enrôlé dans l’armée romaine (à l’Etat-Major de Pompée) pour plusieurs années. Il fut, par après, très actif en politique (et atteignit même la fonction suprême de consul alors qu’il n’était pas de famille consulaire). Après en avoir été l’admirateur, il devint le principal adversaire de Jules César. Il fut finalement assassiné sur l’ordre d’Octave (qui, en triumvirat, avait pris la tête de l’Empire romain alors que Cicéron était un défenseur de la République). C’est dire que Cicéron n’était pas un personnage insignifiant en politique romaine.
Son œuvre écrite est importante ; elle n’est jamais tombée dans l’oubli et a été bien conservée. Elle est essentiellement constituée par des discours, des plaidoiries, sa correspondance. Ses traités politiques sont : De la République (de Re Publica) et Des Lois (de Legibus). Le fait de reprendre les mêmes titres que les deux principaux ouvrages de philosophie politique de Platon indique déjà une filiation. Mais c’est surtout dans son traité sur Les devoirs (de Officiis) [4], son dernier ouvrage (44-43), que Cicéron aborde le sujet de la guerre. L’ambition de cet ouvrage est cependant bien plus large : il s’agit d’un traité de morale fondamentale (d’inspiration nettement stoïcienne) consistant en une analyse de chacune des quatre vertus cardinales : la prudence (c-à-d. en fait le discernement du vrai), la justice (le maintien du lien social), la force (la grandeur d’âme) et la tempérance (l’ordre et la mesure), de leur hiérarchie, de leur conflit avec ” l’utile” et de leur aboutissement : la beauté morale (honestas). Ce traité eut une influence considérable dans l’Antiquité et à la Renaissance. Il peut être considéré comme une des sources principales de l’humanisme occidental.
Il est intéressant de remarquer que le thème de la guerre (mineur dans l’œuvre) est essentiellement traité en lien avec celui de la Justice. La responsabilité de la Cité est de maintenir le lien social et la vie commune entre les hommes, l’homme étant par nature un être social (Aristote) et non un individu isolé. La Justice est la vertu qui règle ce lien social. Négativement définie, elle consiste à ne faire de tort à personne. Positivement définie, elle consiste à user des biens communs en leur conservant leur caractère de biens communs. Le principe négatif connaît cependant une limite : on peut faire du tort à une personne quand on y est contraint par l’injustice (I,6). Plus même : ne pas s’opposer, quand on le peut, à l’injustice commise par d’autres est une faute car c’est laisser faire l’injustice et donc laisser porter atteinte au genre humain [5]. C’est là que s’enracine l’idée de guerre juste chez Cicéron. La paix n’est pas le souverain bien pour Cicéron si elle n’est pas une paix dans la justice. Autrement dit encore : la justice est première par rapport à la paix. Puisque le but de la guerre (ou de l’action violente) est de rétablir la justice, la conduite de celle-ci ne doit pas engendrer de nouvelles injustices (torts inutiles ou torts envers des personnes innocentes). Il y a une mesure à garder, des ” lois de la guerre” à respecter (I,11) [6]. La cruauté est toujours inutile (III,11 et 24).
Le rétablissement de la justice étant le souverain bien, les autres vertus lui deviennent subordonnées. Ainsi le respect de la parole donnée ou d’un serment peut être remis en question si l’on a juré sans le sentiment qu’il fallait faire ce à quoi l’on s’engageait (III,29).
Si le conquérant apporte plus de justice, les peuples soumis en seront finalement reconnaissants. C’est donc par la justice et non par la crainte qu’il faut se faire respecter. Ce type de guerre, même si elle est une guerre d’extension de l’empire et non seulement une guerre de défense, est donc justifiable, selon Cicéron (II,8). Il admet aussi les ” guerres de prestige”, mais ” celles-ci doivent être conduites avec moins de rigueur” (I,12). Par contre, les guerres civiles, même si elles sont inévitables, sont surtout le signe d’une faiblesse à régler les problèmes par le jeu politique.
A partir de là, Cicéron indique clairement sa préférence pour l’option politique. L’ ” exploit” politique n’est pas inférieur à l’exploit militaire : ” que les armes le cèdent à la toge, les lauriers du soldat vainqueur à la louange du courage civique” (I,22). Les armes comptent d’ailleurs peu s’il n’y a pas de direction politique sage. Cicéron ne nie pas la valeur formative des exploits militaires ni les sacrifices pour la patrie mais ” les travaux de l’esprit ont à tous égards une valeur plus haute que ceux du corps” (II,13).
Bien au-delà des intérêts particuliers, Cicéron veut que l’on vise toujours la communauté du genre humain, fondement du droit naturel. Cette communauté comprend certes différents niveaux : la terre entière (cosmopolis), la ” nation” (race, nation, langue), la cité, la famille mais, selon Cicéron, la Nation (Res Publica) est la condition de possibilité des autres et mérite des sacrifices, bien que les devoirs de justice restent universels.

Littérairement parlant, le de Officiis n’est pas un chef d’œuvre ; ce n’est pas la plus belle langue de Cicéron. Il se peut qu’il ait été écrit dans la précipitation (Cicéron s’attendait à être assassiné à un moment ou à un autre) et qu’il soit d’ailleurs inachevé.

SALLUSTE
LA GUERRE DE JUGURTHA
[7]

” à Rome, tout est à vendre”

Salluste (86 à 36 av.J.-C.), bien que de souche non-romaine (mais italique), voulut se lancer dans la carrière politique et devint ” tribun de la plèbe” mais fut obligé de démissionner pour cause de scandale dans sa vie privée. Il fut ennemi politique personnel de Cicéron et prit le parti de César. Ce dernier lui confia quelques missions militaires (non couronnées de succès) et le nomma même gouverneur de l’Africa Nova (province romaine d’Afrique du Nord) qu’il exploita honteusement au point de se faire à nouveau exclure du Sénat. Ayant perdu son soutien après l’assassinat de César, il quitta la vie politique et se retira dans sa villa et ses jardins pour se consacrer à une vie littéraire. Son autre œuvre bien connue est La conjuration de Catilina. Il ne reste que quelques fragments d’une troisième œuvre intitulée Histoires.

Sa Guerre de Jugurtha relate l’histoire d’une guerre civile dans un royaume d’Afrique du Nord (correspondant à la Tunisie actuelle) sous protectorat romain. Ce Jugurtha, fils adoptif du roi en question, se distingua d’abord comme officier dans l’armée romaine. Il se fit ainsi connaître et apprit à connaître les milieux romains. A la mort du roi, au mépris d’un accord dûment conclu, il ravit le pouvoir aux dépens des deux autres fils (directs) du souverain défunt. L’un fut assassiné, l’autre s’enfuit et parvint à obtenir l’intervention armée de Rome en sa faveur malgré les tentatives de corruption de la noblesse romaine par Jugurtha (d’où cette phrase célèbre: à Rome, tout est à vendre). Le livret raconte avec vivacité cette guerre à rebondissements où se mêlent stratégie militaire et intrigues politiques, situations africaines et enjeux romains, faits historiques et jugements moraux.

Ces jugements moraux ne se révèlent cependant pas d’un grand intérêt. La dénonciation de Salluste des mœurs politiques décadentes de la Rome-fin-de-République (car, indirectement, c’est cela le sujet du livret) fait partie des lieux communs de tous les moralistes romains. Il y a beaucoup de nostalgie de la Rome antique (époque de Caton, 2°s.av.J-C) mais peu d’analyse des causes profondes de cette décadence et encore moins de projet politique rénovateur. D’autre part, ses appels à la vertu contrastent étrangement avec ce que l’on sait de sa vie.
Par rapport à la violence, Salluste voit bien son effet entraînant (§ 3) mais n’a pas d’états d’âme devant les cruautés (à peine, la mention d’un ” horrible spectacle” en conclusion de la bataille de Cirta, § 101). En professionnel de la chose militaire (puisqu’il le fut quelque peu), il se délecte plutôt à décrire les finesses stratégiques (batailles de Vaga , § 47-54 ; de Zama, § 57-60 ; de Cirta, § 97-101) et à donner son profil du bon chef militaire (compétent, parmi ses hommes, sans sévérité inutile : § 45, 96, 100).
Comme historien, Salluste n’est pas à la hauteur de l’objectivité ni de la profondeur du Thucydide qu’il veut imiter mais il fait mieux qu’un simple annaliste. Il influencera Tacite.
Du point de vue littéraire, sa langue est un peu archaïque mais merveilleusement concise, vive et variée (lire les discours § 14, 31 et 85). L’exposé est bien mené, bien construit et bien dit. L’esprit latin dans toute sa splendeur!

TITE-LIVE
HISTOIRE ROMAINE
[8]

” jamais on n’entendit les Romains parler de paix”

Tite-Live (59 ACN – 17 PCN) ne figure pas non plus dans les manuels de philosophie politique mais ne fut pas non plus, comme César, un homme d’action. Il fut un homme de cabinet. Au sortir de la guerre civile ayant vu la régime politique romain se transformer de République en Empire, Tite-Live (admirateur de César mais politiquement partisan de Pompée) devint un proche du nouvel empereur (Auguste) et de sa famille. Il fut sans doute le précepteur du futur empereur Claude. A ce titre, il put avoir une influence politique importante. Malgré sa position auprès de la famille impériale, il resta cependant très critique par rapport au ” siècle d’Auguste”. Meurtri par la guerre civile, dégoûté de ses contemporains, il cultiva une nostalgie pour l’ ” ancienne époque” (en fait, surtout le 2°s. ACN, l’époque des Guerres Puniques) où Rome était vertueuse et courageuse. Auguste sut très habilement récupérer à son profit ce patriotisme d’un ” âge d’or”.

Tite-Live consacra donc à peu près toute sa vie à écrire son Histoire romaine, une œuvre monumentale [9] dont seulement un quart nous est parvenu (les origines de Rome et la seconde guerre punique). Grâce à sa position, il eut certainement accès à de très nombreuses et très riches archives de l’Empire (rapports au et du Sénat, etc…). Bien qu’il ait un certain sens critique, il est plus écrivain qu’historien, plus volubile et plus facile à lire que d’autres historiens plus austères (comme Salluste ou Tacite). Malgré ces faiblesses, il reste notre seule source historique pour bien des aspects de l’histoire de Rome. Son apport spécifique à l’histoire est d’avoir voulu écrire une ” histoire du peuple romain” dans son ensemble et non une histoire de l’Etat (ses Institutions ou ses héros uniquement).

L’une des deux parties de son œuvre qui nous intéresse le plus est ” la guerre d’Hannibal” (livres 21 et 22) ou seconde Guerre Punique (218-201 ACN), aussi importante pour l’histoire romaine que la seconde Guerre Mondiale pour nous. Rome a risqué d’être anéantie si Hannibal avait su profiter de ses victoires (Trasimène et Cannes) [10][11]. Les deux nations étaient, à ce moment, de forces égales et y ont brûlé leurs dernières cartouches (excusez l’anachronisme!). Il s’agissait d’un scénario de ” guerre totale”.
Certains ont loué l’ ” objectivité” de Tite-Live, capable de reconnaître les qualités d’un ennemi et les faiblesses de Rome. Ce n’est pas d’objectivité historique qu’il s’agit. En fait, pour Tite-Live, l’histoire n’est qu’un matériau pour défendre un profil moral fait de discipline, de rigueur, de comportement rationnel, de courage et d’intérêt pour la chose publique, valeurs censées être celles de la Rome antique. Certes, Tite-Live est persuadé que ” Rome est le plus grand peuple du monde” (voir sa préface à son œuvre) mais ce qui l’intéresse, c’est de voir restaurer ces valeurs, d’où qu’en viennent les exemples. En ce sens, on peut dire que le patriotisme de Tite-Live est un patriotisme moral, idéologique (la défense d’un certain nombre de valeurs) et non un patriotisme nationaliste. Il ne défend pas Rome à tout prix, il défend une certaine idée de la grandeur (morale) de Rome. Tout ce qui concourre à cette grandeur et en est l’expression est jugé moralement bon. Il est, par exemple, très fier de dire que, malgré les défaites de Trasimène et de Cannes, ” jamais on n’entendit les Romains parler de paix”. Au contraire, il apprécia que les Romains trouvèrent, dans un incroyable sursaut d’énergie, la volonté de se venger jusqu’à la destruction totale de Carthage (3° Guerre Punique en 149-146).

SENEQUE
de Clementia
[12]

” Tuer en masse et sans distinction, c’est un pouvoir qui appartient à l’incendie, aux édifices qui s’écroulent”

Sénèque (1 à 65 après J.C) est connu comme philosophe (stoïcien) latin [13]. Son importance politique vient du fait qu’il fut précepteur du jeune Néron dont le début du règne –aussi longtemps qu’il fut assisté par Sénèque- fut prometteur. Néron sombra cependant très vite dans la tyrannie et le désordre. Il fit assassiner Britannicus, son demi-frère et rival, ainsi que sa propre mère Agrippine qui avait pourtant assassiner son ex-mari, l’empereur Claude, pour faire régner ce fils né d’un second mariage. Sénèque fut lui-même obligé de se suicider peu après.
On hésite encore sur les circonstances de la rédaction de ce traité de Clementia. A-t-il été écrit avant ou après le meurtre de Britannicus? A-t-il voulu prévenir ce meurtre ou l’a-t-il, lâchement, couvert? Quoiqu’il en soit, il est certain que Sénèque a pris très vite ses distances par rapport à la cruauté de Néron (ce qui lui valut d’ailleurs son ” suicide”). Ce traité fut peut-être une ultime tentative de convaincre Néron de renoncer à la violence comme méthode de gouvernement en lui présentant la clémence dans ses avantages et son utilité. Il s’agit donc bien d’un traité de philosophie politique et non de morale privée.
La clémence (qui n’est ni la compassion ni le pardon qui sont sensiblerie et injustice selon Sénèque) est une vertu qui sied particulièrement à un prince. En effet, en l’exerçant de manière appropriée, il se montre au-dessus des lois (ce qui est le statut d’un prince) non pas pour faire du tort aux citoyens mais pour les sauver, les éduquer, se les attacher (ce qui est la fonction du prince). La clémence est un moyen éminemment rationnel et efficace afin de maintenir et de promouvoir la justice et la sécurité. La sévérité et, a fortiori, la cruauté découragent les fautifs à revenir dans le droit chemin et les entraînent à s’enfoncer dans toujours plus de méfaits et de violence. Faire valoir les avantages de la clémence et avertir des inconvénients de la cruauté n’était cependant pas suffisant pour atteindre le vrai problème : la dérive autocratique et tyrannique du pouvoir romain de l’époque.

TACITE
ANNALES
[14]

” …le monde, fatigué de discordes, …”

Né vers 55 apr.J.-C., mort vers 117, Romain originaire sans doute de Gaule Belgique, Tacite a joué un rôle politique (et même militaire) non négligeable à un moment où l’Empire romain était au faîte de sa puissance mais en même temps en proie à une dérive totalitaire de son régime. Tacite désapprouvait cette dérive. Son œuvre littéraire d’historien [15] fut motivée par la volonté de montrer à la classe politique romaine de son époque et pour l’avenir le tort causé par ce type de régime. En contrepoint, il ne manqua pas de vanter les qualités morales de la Rome Antique, ni même celles de peuples ennemis (des Germains précisément). La leçon fut entendue à l’époque mais les phrases assassines de Tacite ont encore fait trembler bien des tyrans tout au long de l’histoire. Sa lecture reste décoiffante pour la sagacité avec laquelle il dénonce les intrigues politiques. Tacite était cependant convaincu que, malgré ses défauts, l’Empire romain était supérieur à tous points de vue et avait une évidente mission civilisatrice. Le plus grand bienfait que l’Empire ait apporté au monde, selon Tacite, est la pax romana, même imposée. S’il estime le courage guerrier des Germains, il condamne le fait qu’ils érigent la guerre en valeur suprême et en manière de vivre:

Les Germains ont toujours eu la même raison de passer en Gaule : leur bon plaisir, leur avidité, leur goût de changer de pays, afin d’abandonner leurs marais et de leurs déserts et de s’emparer de cette terre si féconde et de vous-mêmes. Au demeurant, ils donnent comme prétexte la liberté et des mots prestigieux mais personne n’a désiré asservir autrui et établir sa propre domination sans recourir à ces mots-là. (Histoires, IV, 73)

Cette pax romana, que seule peut assurée un Etat puissant et organisé comme Rome, ne peut qu’être favorable pour tous. Ses quelques inconvénients (les impôts par exemple) valent bien ses avantages inestimables:

Des rois et des guerres, il y en eut toujours en Gaule, jusqu’à ce que vous ayez consenti à accepter nos lois. Et nous, bien que nous ayons été si souvent provoqués, nous n’avons usé du droit de la victoire que pour assurer la paix ; car il ne peut y avoir de tranquillité parmi les nations sans forces armées, pas de forces armées sans soldes, ni de soldes sans impôts” (Histoires, LXXIV)

Pour ce qui concerne la conduite même de la guerre, Tacite admet implicitement la ” loi du plus fort” et ne s’émeut pas des destructions et cruautés d’une guerre (Annales I, 51-52, 56). A l’occasion de la mutinerie de Pannonie, Tacite nous décrit au passage les conditions de vie des militaires romains (ibid., I, 17).

L’œuvre de Tacite est du premier intérêt pour la qualité de sa documentation mais elle est surtout centrée sur les problèmes de politique intérieure. On admirera l’étude des mœurs mais on restera sur sa faim du point de vue de la réflexion de philosophie politique. Son moralisme de tendance stoïcienne est bien présent en toile de fond mais ne déforme pas sa présentation des faits. Son style est simple, sans ornements ni effets, et, comme souvent chez les auteurs latins, concis.

PAX ROMANA

On désigne par cette expression la période de paix, de prospérité et de bon fonctionnement des institutions à laquelle était parvenue l’empire romain des années 68 à 192 de notre ère (dynasties des Flaviens et des Antonins : de Vespasien à Marc-Aurèle) alors au faîte de sa puissance et de son extension territoriale (3.300.000 km² et 70 millions d’habitants). Les quelques campagnes militaires menées durant cette période ne concernaient que les frontières (Germanie, Syrie).
Il ne s’agit pas d’une interprétation a posteriori de la part d’historiens ; les contemporains, tant Romains que non-Romains, ont eu conscience de vivre une époque bénie qu’ils ont eux-mêmes dénommée ” pax romana” (paix romaine).

PLINE LE JEUNE
PANEGYRIQUE DE TRAJAN
[16]

” Tu ne crains pas les guerres, mais c’est la paix que tu aimes”

Il était de coutume lorsqu’un nouveau consul (fonction plus ou moins équivalente à celle de premier ministre) entrait en fonction qu’il prononçât un éloge de l’empereur. Ce fut le cas pour Pline le Jeune (neveu de Pline l’Ancien, auteur plutôt ” scientifique”) à propos de l’empereur Trajan en l’an 100 de notre ère. On devine que le consul ne pouvait se permettre beaucoup de critiques… Sachant cela, il reste intéressant de relever les points forts retenus par l’auteur de l’éloge. D’autre part, cela nous donne de précieux renseignements dont il s’agira alors de vérifier par ailleurs la valeur historique. En l’occurrence, le règne de Trajan (98 –117) nous est bien connu. Malheureusement, le Panégyrique (note 1) intervient au tout début du règne. Trajan ayant été désigné empereur alors qu’il était général commandant les armées du Rhin, Pline ne manque pas de relever (§ 12 à 19) les qualités militaires de l’empereur : son amour de la vie de camps, son professionnalisme militaire, sa proximité par rapport aux soldats, sa modération par rapport aux ennemis. Si, dans son éloge, Pline loue Trajan pour son amour de la paix (” Tu ne crains pas les guerres, mais c’est la paix que tu aimes” § 16), c’est que la paix (et non la guerre) était réellement la valeur appréciée par l’empereur et, sans doute, par l’opinion publique.
La suite du règne de Trajan fut marquée par deux campagnes militaires de grande envergure, celle de Dacie (Roumanie actuelle, entre 101 et 106) et celle contre les Parthes (Golfe persique actuel, de 114 à 117, guerre qui reprit en 163 sous le règne de Marc-Aurèle). Elles furent les dernières guerres d’expansion de l’Empire. La première fut sans doute motivée par les besoins de l’empereur en or pour financer sa politique sociale particulièrement développée. La seconde fut une réplique à des troubles locaux mais permit d’annexer l’Arménie et la Mésopotamie. Tout indique qu’elles furent menées avec humanitas . Il faut dire qu’à cette époque et avec une empereur militaire comme Trajan, l’armée romaine était au faîte de sa puissance et de son efficacité. Ses successeurs directs (Hadrien, Antonin) s’attachèrent à consolider la paix dans cet empire ayant atteint son extension maximale (3.300.000 km²).

MARC-AURELE
PENSEES POUR MOI-MÊME
[17]

” La haine, une guerre, l’apathie, l’esclavage effaceront de jour en jour toutes ces saintes maximes”

Marc-Aurèle fut éduqué pour devenir empereur. Depuis son plus jeune âge, il fut cependant attiré par le stoïcisme. Cette philosophie préconisait de devenir insensible aux choses du monde et de mener sa vie personnelle suivant les plus hautes vertus morales. Succédant à Antonin le Pieux, le plus pacifiste des empereurs romains, Marc-Aurèle n’avait, en outre, reçu aucune formation militaire. Son malheur voulut qu’il passa 17 de ses 19 ans de règne (161 – 180) en campagnes militaires ! Il fut en effet contraint de reprendre la guerre contre les Parthes (163 – 166) et ensuite contre les barbares d’au-delà du Danube (166 – 180). C’en était désormais fini avec la pax romana. L’Empire n’allait plus cesser d’être menacé, infiltré, jusqu’à succomber au 5°s.
Désormais, les guerres des empereurs pourront toutes être dites défensives. Marc-Aurèle ne serait certainement jamais parti en guerre pour une autre raison. Il mena ses guerres par pur sens du devoir, s’en acquittant d’ailleurs très bien. Il fut vainqueur sans se réjouir de ses victoires (voir la colonne dite ” Antonine” par rapport à la colonne trajane ou l’arc de triomphe de Titus !).
Dans les Pensées pour moi-même (pourtant écrites pendant la campagne du Danube entre 169 et 175) (note 1), on ne trouvera cependant aucune allusion à ces événements ni aucune considération de philosophie politique. Il s’agit strictement d’un petit recueil personnel de morale stoïcienne. Le renfermement sur soi y va de pair avec une vision très pessimiste sur la nature humaine.

Violence, guerre et paix dans la pensée latine (encart 1)

EVENEMENTS HISTORIQUES – LITTERATURE / IDEES

Fondation de Rome 753 ACN

Régime monarchique jusque 509

Régime républicain 509 – 31

– conquête progressive de l’Italie 509 – 265
* guerres sammites
– conquêtes méditerranéennes
* 1° Guerre Punique 264 – 241
(Sicile, Corse, Sardaigne)
* 2° Guerre Punique 218 – 201
(Hannibal en Italie) Plaute, Miles gloriosus
* conquête de la péninsule ibérique 209 – 197
* guerres macédoniennes 210 – 168
(210-205, 200-197, 171-168)
* 3° Guerre Punique 149 – 146
(Rome détruit Carthage) Polybe, Histoires (en grec)
* guerre africaine contre Jugurtha 112 – 106
– conquête de l’Orient 88 – 63
(Pompée, …)
– troubles internes à Rome 82 – 50
(les Gracques, Marius, Sylla)
– conquête de la Gaule (César) 58 – 51 (César, la guerre des Gaules)
– assassinat de César 44 (Cicéron, de Officiis; Salluste, Guerre de Jugurtha)

Régime impérial / Haut-Empire 31 ACN – 285 PCN

– d’Auguste à Néron – Ovide / Virgile / Horace / Lucain, Pharsale / Sénèque, de Clementia
– Vespasien, Titus, Domitien 69 – 96
* campagnes en Judée (66 – 74)
– Trajan 98 – 117 – Pline le J., Panégyrique de Trajan
* campagnes de Dacie (101 – 106)
* campagnes contre les Parthes (114 – 117) – Tacite, Annales
– Hadrien
pax romana 117 – 138
extension maximale de l’empire: 3.300.000 km²
– Antonin 138 – 161 – Suétone, Vie des Césars
pax romana
– Marc-Aurèle 161 – 180
renversement de tendance :
l’Empire obligé de se défendre
* guerres contre les Parthes (163 – 166)
* guerres danubiennes (166…172) – Marc-Aurèle, Pensées
– les Sévères 193 – 235
– anarchie militaire à Rome 235 – 284
* assauts ennemis répétés (235 – 260)

Régime impérial / Bas-Empire 285 – 565 PCN

(les auteurs de cette période, essentiellement chrétiens, feront l’objet d’un fascicule ” Antiquité chrétienne”)

– empereurs illyriens, dont Dioclétien
* restauration de l’Empire 284 – 305
– conflits de succession internes 305 – 313

– règne de Constantin 313 – 337

– séparation de l’empire romain d’Orient et d’Occident 395

– sac de Rome par Alaric 410
– invasions des Vandales 428
– invasions des Huns (Attila) 441
– prise de Rome par Odoacre 476
fin de l’empire romain d’Occident

– règne de Justinien 527 – 565
* reconquêtes occidentales éphémères
* fin du Bas-Empire 565

* ACN = Ante Christum Natum = avant Jésus-Christ
PCN = Post Christum Natum = après Jésus-Christ

Violence, guerre et paix dans la pensée latine (encart 2)

LES GRANDES BATAILLES

CAUDIUM (Italie, Campanie) (321 acn): défaite romaine dans le cadre des guerres sammites (” fourches caudines”)
HERACLEE (Italie, Sud) (280 acn): le roi hellénistique Pyrrhus fut vainqueur mais avec des pertes considérables (” victoire à la Pyrrhus”)
TRASIMENE (Italie, centre) (217 acn): victoire d’Hannibal sur les Romains (2°Guerre Punique) mais lourdes pertes des deux côtés
CANNES (Italie, côte adriatique) (216 acn): nouvelle victoire d’Hannibal sur les Romains mais qu’Hannibal ne sut exploiter
ZAMA (Tunisie) (202 acn): victoire romaine contre les Carthaginois (Scipion contre Hannibal) marquant la fin de la 2° Guerre punique
CYNOSCEPHALES (Macédoine) (197): victoire des Romains sur Philippe V de Macédoine (2° Guerre de Macédoine) grâce à la supériorité tactique de la légion sur la phalange
MAGNESIE (Turquie, Lydie) (189 acn): victoire des Romains contre le roi hellénistique Antiochos
PYDNA (Grèce) (168): victoire des Romains contre Persée (le fils de Philippe V) lors de la 3° Guerre de Macédoine
CARTHAGE (Tunisie) (146): siège et destruction totale de la ville par les Romains, marquant la fin des Guerres Puniques
ALESIA (Gaule) (52): victoire décisive de César sur Vercingétorix lors de la Guerre des Gaules
PHARSALE (Grèce, centre) (49): victoire de César sur son rival Pompée dans le cadre de la guerre civile romaine
ACTIUM (Grèce, Epire) (31): victoire navale d’Octave sur son rival Antoine dans le cadre de troubles civils à Rome

MANUELS DE TACTIQUE

ARRIEN (95 – 175 pcn, gouverneur de Cappadoce sous Hadrien)
, La tactique,
, Plan de mobilisation contre les Alains,
FRONTIN (41 – 103 pcn, gouverneur de Bretagne (= Angleterre) de 74 à 78)
, Les stratagèmes,
VEGECE (fin 4°s. – 5°s. pcn)
, Traité de l’art militaire,

Violence, guerre et paix dans la pensée latine (encart 3)

L’ARMEE ROMAINE
(dans la Rome classique du 2°siècle de notre ère)

· LEGION: un corps d’armée est composé de 2 légions et de deux ” ailes” (ala). L’aile est un contingent allié (non-romain) équivalent à une légion. Le corps d’armée est commandé par un général sous la dépendance politique du consul (la plus haute magistrature civile romaine) ou de son délégué (préteur, proconsul ou propréteur). La légion compte 4 à 5.000 hommes. Elle est subdivisée en 10 cohortes, chacune étant subdivisée en 3 manipules, chaque manipule étant subdivisée en 2 centuries, la centurie étant l’unité tactique de base.
L’empire a compté jusqu’à 30 légions (au 2°s. pcn) pour un territoire de 3.300.000 km², 10.000 km de frontières et 70 millions d’habitants.
Chaque légion est commandée par 6 tribuns militaires (équivalent à officier supérieur) à tour de rôle. Le tribunat militaire était la première étape de toute magistrature (il s’agissait de jeunes aristocrates sans expérience militaire) mais le commandement militaire était en fait assuré par le légat de légion (legatus legionis), désigné par le général.

· COHORTE: chaque cohorte compte 480 hommes qui forment un bloc. Les dix cohortes qui composent une légion sont, sur l’espace du champ de bataille, disposées en 3 lignes (3,3,4 : voir schéma). A l’intérieur de la cohorte, sur toute sa longueur, on distingue également 3 lignes :
– celle des hastati: les deux premiers rangs formés de jeunes soldats armés de lances
(voir l’encadré sur l’armement),
– celle des principes : les deux rangs suivants formés de soldats expérimentés de 25-30 ans, bien armés,
– celle des triarii : les vétérans (plus de 30 ans), n’entrant pas nécessairement en combat.

· MANIPULE: chaque manipule compte 160 hommes. Les trois manipules qui composent une cohorte ne sont qu’une subdivision pratique de commandement. Elle est elle-même composée de deux centuries.

· CENTURIE: chaque centurie comporte 80 hommes. Elle est l’unité de base de l’infanterie lourde de l’armée romaine. Elle est commandée par un centurion (équivalent à officier subalterne). Elle est subdivisée en 10 pelotons (contubernia) de 8 personnes partageant la même tente et prenant leur repas ensemble.

· VEXILLATIO: détachement militaire pouvant compter quelques hommes ou jusqu’à plusieurs cohortes pour des opérations spéciales.

· TURMA: bataillon de 300 cavaliers par légion (n’ayant que des missions d’appui tactique), subdivisé en escadrons de 10 cavaliers (30 au 1-2°s.pcn) commandés par des décurions.

· VELITES: petites groupes de jeunes soldats d’infanterie légère (1200 par légion), tournoyant autour des cohortes ou des escadrons de cavalerie pour combler les vides ou venir en aide.

Violence, guerre et paix dans la pensée latine (encart 4)

L’ARMEMENT

LANCE (hasta): d’une longueur de 2 m, en bois et garni d’une pointe en fer (qui se cassait après usage), elle était lancée (et non récupérée) par les hastati lorsque l’ennemi était à moins de 30 m, juste avant la phase de corps à corps.

JAVELOT (pilum): d’une longueur d’1,2m, tout en fer et particulièrement bien équilibré, le javelot avait une excellente force de pénétration. Chaque fantassin en disposait de deux.

GLAIVE (gladius): la lame, d’une longueur de 40 à 50 cm et de 6 cm de largeur, était capable de transpercer une armure. Elle était l’arme essentielle du corps à corps.

EPEE (spatha): d’une longueur de 60 à 90 cm, elle a d’abord été utilisée par les cavaliers. Elle fut adoptée ensuite par l’infanterie.

DAGUE (pugio): lame de 35 cm, portée au ceinturon

BOUCLIER (scutum): un des modèles (utilisé jusqu’au 1°s.pcn) était de forme ovale pour les fantassins, ronde pour les cavaliers et était constitué d’une armature en bois recouvert de peaux , d’un poids de 5 kg.

CUIRASSE (lorica): simple pectoral de bronze au départ, elle est devenue une cuirasse articulée plus complète tout en restant souple et pas trop lourde, complétée éventuellement de jambières.

CASQUE (galea): en bronze puis en fer, garni d’une visière, d’un protège-nuque et de protège-tempes, il offrait un très bonne protection.

* * *

CATAPULTE: envoie des javelots à grande distance

BALISTE: lance avec précision de petits projectiles ou des flèches à deux ou trois cents mètres.

ONAGRE: fronde à levier de grande puissance, capable de projeter des boulets à 40 m de hauteur et 30 m de distance

BELIER: lourde poutre garnie d’une tête de métal suspendue par des cordages à un échafaudage sur roues, capable de saper des murailles

Violence, guerre et paix dans la pensée latine (encart 5)

LA GUERRE DANS LA MYTHOLOGIE

MARS: ce dieu de la guerre (ou plutôt, des combats) occupe la deuxième place (après Jupiter) dans le panthéon romain. Il est d’origine romaine mais la mythologie grecque concernant Arès lui a été transposé. Autant, à l’origine, Jupiter était le dieu de l’ager (propriété terrienne), autant Mars en était le défenseur contre les violations. Malgré que l’empire romain est celui qui n’ait cessé, par les armes, d’étendre ses conquêtes et de les stabiliser, il a toujours vécu d’une ” idéologie de la défense”. Le ” champ de Mars” était l’espace, en dehors de l’enceinte de la ville et en face de la région hostile, où, à l’origine, s’organisait l’armée (recrutement et formation des légions). Le culte à Mars trouvait place au début de la saison militaire (au mois de Mars…) et à la fin de celle-ci (en octobre) où avait lieu un rite de ” lustration”. Il y avait donc bien conscience de devoir ” se purifier” de quelque chose et que le retour à la vie civile représentait un tournant mental.

CLERGE FECIAL: ce clergé très particulier, très restreint en nombre (une vingtaine de ” prêtres”), relevant du culte de Jupiter, était chargé des rites (et des conditions) de déclaration de guerre : exposé à l’ennemi des revendications romaines, proposition de règlement pacifique, lancer du javelot en direction de l’ennemi en cas de refus. Aucune guerre ne pouvait être considérée comme ” juste” si elle n’avait respecté ces rites (mais les Romains ont surtout inversé le raisonnement en considérant que toute guerre qui avait respecté ces rites était ” juste” …). Ils étaient ensuite les gardiens des trêves et traités de paix. Ils devinrent en fait le premier ” corps diplomatique” organisé et permanent.

TEMPLE DE JANUS: Janus est un des plus anciens dieu du panthéon romain et un des plus spécifiques. En commémoration de son intervention qui aurait sauvé Rome au cours de la guerre contre les Sabins (guerres italiques), les portes de son temple étaient laissées ouvertes en temps de guerre pour permettre au dieu d’intervenir partout où les Romains livraient une bataille. La fermeture des portes indiquait donc à la population les temps où l’empire était ” sur pied de paix”.
Ce ” dieu des portes” (porte se dit ” ianua” en latin ; le mois de ” janvier” est la porte d’entrée dans l’année…) est celui qui voit sortir les armées pour aller en campagne et qui attend de les voir rentrer (victorieuses) sous un arc de triomphe (qui symbolise bien une porte). Dieu à double-face (comme une porte), Janus invite, moralement, à bien considérer toutes les faces (favorables et défavorables) d’une initiative avant de l’entreprendre.

BELLONE: Mythologiquement, elle est la femme de Mars. Elle représente la guerre dans sa fureur (comme Arès dans la mythologie grecque). Les Romains se rendaient donc bien compte que la fureur irrationnelle était intimement liée à la guerre (Mars). Elle avait son temple sur le ” champ de Mars” .

Violence, guerre et paix dans la pensée latine (encart 6)

BREVES NOTICES SUR LES AUTEURS NON ETUDIES

– APPIEN: historien grec d’Alexandrie ayant vécu à Rome sous les règnes de Trajan, Hadrien, Antonin. Ce qu’il reste de son Histoire romaine donne de précieux renseignements sur les guerres puniques, macédoniennes, syriennes. Auteur également de Guerres civiles, concernant les guerres civiles à Rome au 1°s. acn.

– AELIUS ARISTIDE: orateur de Pergame (Nord de la côté égéenne turque actuelle) à l’époque des Antonins, il fut un de ces non-Romains qui louèrent Rome (dans son Discours sur Rome, discours 26) pour la pax romana, pour le bon ordre, le bon fonctionnement des institutions dans un Etat de droit, pour le respect des personnes et des peuples dont Rome témoigne.

– AMMIEN MARCELLIN: né à Antioche vers 340 pcn, il servit longtemps dans l’armée romaine. La partie conservée de son œuvre historique couvre les années 353 à 378 pcn.

– ARRIEN: gouverneur de Cappadoce (centre de la Turquie actuelle) sous Hadrien, il fut l’auteur d’un ouvrage de tactique militaire : La tactique ainsi que d’un Plan de mobilisation contre les Alains (peuplade turbulente en Cappadoce à l’époque).

– AULU GELLE: auteur romain du 2°s. dont les Nuits attiques contiennent de nombreux renseignements historiques et juridiques précieux mais présentés de manière désordonnée.

– DENYS D’HALICARNASSE: historien grec du 1°s. acn. Ses Antiquités romaines sont intéressantes pour les origines de Rome mais truffées de développements oratoires.

– DION CASSIUS: sénateur romain originaire de Bythinie (Turquie du Nord) (155 à 235 pcn). Son Histoire romaine en couvre les origines jusqu’à 229 pcn.

– DION CHRYSOSTOME (dit aussi Dion de Pruse): rhéteur grec également originaire de Bythinie du 1°s.pcn. Par ses discours, il parvint à faire élire Nerva empereur. Celui-ci lui en fut très reconnaissant, ainsi que son successeur Trajan. Dans son Discours sur la royauté, il dresse le portrait du monarque idéal (où Trajan pouvait se reconnaître).

– FRONTIN: gouverneur de (Grande-) Bretagne de 74 à 78 pcn, il écrivit Les Stratagèmes, brefs récits de ruses de guerre employées par les généraux romains et étrangers. Très utile pour l’étude de l’art militaire dans l’Antiquité.

– HISTOIRE AUGUSTE: recueil de biographies d’empereurs depuis Hadrien jusqu’en 284, citant parfois des documents d’archives mais rapportant le plus souvent des détails anecdotiques sans intérêt.

– JUVENAL: satiriste romain de la fin du 1°s.pcn. Une de ses satires visent les prérogatives de l’état militaire.

– LUCAIN: neveu de Sénèque, il connut les mêmes faveurs et puis la même disgrâce auprès de Néron que son oncle. Il fut contraint de se suicider à 26 ans. Son poème intitulé Pharsale concerne la guerre civile entre les partisans de César et ceux de Pompée. Anachroniquement, il règle surtout ses comptes avec Néron.

– LUCRECE: philosophe épicurien du 1°s. acn, auteur d’un poème philosophique sur La nature des choses, explicitant une vision purement matérialiste du monde. Dans cette logique, les violences ne sont que des réactions à certaines situations que les hommes essaient de corriger quand elles deviennent intenables en instituant un Etat et des lois … qui finissent par susciter la violence et ainsi de suite.

– PLAUTE: comédien latin du 2°s. acn. Une de ses comédies (Miles gloriosus, le soldat fanfaron) met en scène un soldat vantard qui se croit admiré de tous. L’image qui s’en dégage ne correspond pas du tout à la réalité du soldat romain engagé dans la seconde guerre punique !

– PLUTARQUE: biographe grec du 1°s. de notre ère, auteur des Vies parallèles de quarante-six Grecs et Romains remarquables d’où se dégage un humanisme aimable.

– POLYBE: historien grec du 2°s. acn ayant eu un rôle politique au plus haut niveau à Rome et dans la Grèce soumise à l’autorité romaine. La partie conservée de ses Histoires couvre les années 220 à 146 acn. Très scientifique dans sa méthode, son œuvre abonde en réflexions sur les forces morales des Etats. Son œuvre constitue aussi une des meilleures sources sur les pratiques militaires de son époque.

– SUETONE: biographe latin du 2°s. de notre ère, ami de Pline le Jeune et un moment secrétaire de l’empereur Hadrien, il écrivit une Vie des douze Césars où il mélange les sources d’archive avec les anecdotes insignifiantes. Son œuvre manque totalement de grâce, de personnalité et de hauteur de vue historique.

– VEGECE: le plus important des écrivains militaires de l’Antiquité. Au service de l’empereur Théodose (fin 4°, début 5°s. de notre ère), il rédigea un Abrégé des questions militaires, fournissant à l’homme d’action un ensemble de règles simples. Son traité fut utilisé tel quel jusqu’au 17°s.

– VELEIUS PATERCULUS: il écrivit sous Tibère une Histoire romaine. Les flatteries à l’égard de l’empereur régnant sont de la dernière bassesse.

– VIRGILE: un des plus illustres poètes latins, auteur de l’Enéide. Au sortir de la guerre civile (1°s. acn), il mit tout son art au service de l’idéologie impériale en prophétisant un retour à un âge d’or où règnera abondance, paix et bonheur général sous l’égide de l’empereur Auguste et de ses successeurs.

(0) Trad. G.Walter, in Les historiens romains, t.1, coll. La Pléiade, éd. NRF-Gallimard, Paris, 1968 ou M.Rat, Garnier-Flammarion n°11, Paris, 1964; études: G. Walter, César, Marabout-Université, Verviers; R. Etienne, Jules César, Fayard, 1997.
(1) ” Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu”: propos attribué à César à l’occasion de la campagne d’Alexandrie.
(2) Quelques exemples : ” ainsi les nôtres en tuèrent, sans péril, autant que la durée du jour en permit” (II,11); ” après avoir ravagé tous les champs, brûlé les villages et les bâtisses, César ramena son armée et la mit en quartier d’hiver” (III,29) ou encore ” (César) leur prit un grand nombre d’hommes et de bestiaux, abandonna ce butin aux soldats, dévasta leurs terres et les força à faire leur soumission et à lui donner des otages” (VI,3).
(3) Par ex.: ” …que (César) avait fait grâce de la vie à des hommes que le droit de la guerre lui eût permis de tuer” (VII, 41).
(4) Texte et traduction dans la collection Budé, Belles Lettres, études: GRIMAL, P., Cicéron, Fayard, Paris, 1986; LAURAND, L., Cicéron, vie et œuvres, Belles Lettres, Paris, 1939.
(5) Cette conception est moins ambitieuse –mais sans doute plus réaliste- que ne le sera la morale évangélique. Notons cependant que cette dernière (le fait de ne pas résister à l’injustice, etc…) se situe à un niveau personnel et non politique. Lorsque l’Eglise sera confrontée à la responsabilité politique (dès St Augustin ou St Ambroise de Milan), elle adoptera en fait le principe cicéronien.
(6) Dont le fait de ” déclarer la guerre” officiellement et de respecter le ” droit fécial” (une sorte de ” liturgie d’entrée en guerre”) (+ III,29).
(7) Trad. A. Ernout, coll. Budé, éd. Belles Lettres, Paris, 1962
(8) Trad. G. Walter in Historiens romains, vol.I, Historiens de la République, coll. La Pléiade, éd. NRF-Gallimard, Paris, 1968.
(9) Livre 22, 4-7.
(10) Livre 22, 45-49.
(11) Livre 22, 61 (dernier chapitre de ce livret).
(12) Trad. F. PREHAC, coll. Budé, éd. Belles Lettres, Paris, 1921.
(13) Ses autres œuvres sont : Consolations, de la Providence, de la Brièveté de la vie, de la Constance du sage, de la Tranquillité de l’âme, du Loisir, de la Colère, des Bienfaits, les Lettres à Lucilius, … voir collection de textes rassemblés par Paul VEYNE dans le volume de la coll. Bouquins, éd. Laffont, Paris, 1993.
(14) Trad. par Bornecque, d’après Burnouf, Garnier-Flammarion, Paris, 1965.
(15) Vie d’Agricola, (vers 98), récit de la vie de son beau-père, pacificateur et gouverneur exemplaire de la Grande-Bretagne; La Germanie, (vers 99), description géographique et ethnographique de la Germanie, région qu’il connaissait très bien et qu’il voulait faire connaître aux Romains; Dialogue des Orateurs, (102): sous les dehors d’un traité de rhétorique, défense de la liberté de parole en politique; Histoires, (108-109), histoire de Rome entre 69 et 96, du vivant de Tacite; Annales, (112-117), histoire de Rome entre 14 et 66, période antérieure aux Histoires.
(16) Texte établi et traduit par Marcel Durry, dans la collection Budé, Les Belle Lettres, Paris, 1959.
(17) Traduction, entre autre, chez Garnier-Flammarion (Poche); études: GRIMAL, Marc-Aurèle, Fayard, 1991. HADOT, La citadelle intérieure: introduction aux ” Pensées” de Marc-Aurèle, Fayard, 1992.

Bibliografie

BIBLIOGRAPHIE

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– GUCHET, Y., Histoire des idées politiques, t.1, de l’Antiquité à la Révolution française, A. Colin, Paris, 1995, 491 p.
– NEMO, P., Histoire des idées politiques dans l’Antiquité et au Moyen-Age, PUF-fondamental, Paris, 1998, 748 p.
– NICOLET, C., Les idées politiques à Rome sous la République, A. Colin, Paris, 1964.

* * *

Histoire de Rome:
– GRIMAL, P., L’Empire romain, Livre de Poche, Paris, 1993.
– HINARD, F. (ss.dir.), Histoire romaine, Fayard, Paris, 2000.
– JERPHAGNON, L., Histoire de la Rome antique, les armes et les mots, coll. Pluriel, Tallandier, Paris, 1987.
– NICOLET, C., Rome et la conquête du monde méditéranéen, 2 vol., PUF, Paris, 1979.
– PETIT, P., Histoire générale de l’Empire romain, 3 vol., Seuil, Paris, 1974.
– PIGANIOL, A., L’Empire romain, PUF, Paris, 1972.
– WATTEL , O., Petit atlas historique de l’Antiquité romaine, A. Colin, Paris, 1998.

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Armée romaine:
– CONOLLY, P., L’armée romaine, Chantecler, Paris, 1976.
– GOLDSWORTHY, A., Les guerres romaines, coll. Atlas des guerres, Autrement, Paris, 2001.
– LE BOHEC, Y., L’armée romaine, Picard, Paris, 1989.
– WARY, J., Histoire des guerres de l’Antiquité, Bordas, 1983.

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