L’Afghanistan

L’Afghanistan

La situation complexe en Afghanistan – introduction et analyse.

 

Selis Claude

1. Données géographiques

Ce pays d’Asie centrale (voir la carte) couvre une superficie de 652.088 km² (20 x la Belgique). Son relief est essentiellement montagneux (massifs du Pamir et de l’Hindu Kush couvrant les ¾ de la superficie) avec des sommets atteignant 7.700 m. et d’une moyenne de 4.200 m. Kaboul même se situe à une altitude de 1.800 m. Les températures varient entre 50° en été et –30° en hiver ; la variation sur une journée peut être de 40°. Il pleut rarement et faiblement (entre 15 et 40 cm / an suivant les régions, entre octobre et avril). Seule la fonte des neiges permet de faire des réserves d’eau pour cultiver dans les vallées et les plaines (à condition de bien organiser sa collecte et puis sa distribution). En temps normal, l’agriculture et l’élevage suffisent aux besoins internes. En dehors de l’opium (évalué en 2001 à ¾ de la production mondiale !), seuls l’astrakan, les tapis et les pierres semi-précieuses (le lapis-lazuli) font des produits d’exportation. Les réserves minières et de gaz seraient très importantes mais le manque de compétences, d’investissements et de technologies causé par l’arriération du pays et son état endémique de guerre ou de troubles locaux fait qu’elles sont inexploitées. Il n’y a pratiquement plus d’industries dans le pays. Il vivote d’un petit commerce de transit ou de contrebande avec le Pakistan ou avec l’Iran ou avec la Chine et entre ces pays. Un des enjeux économiques majeurs actuels n’est même pas d’exploiter les ressources du pays mais de faire passer par l’Afghanistan un oléoduc entre les pays au Nord de l’Afghanistan (réserves considérables, prêtes à être exploitées mais manquant d’un moyen de transport le plus court et le moins coûteux possible et…échappant à l’emprise russe) et la mer d’Oman (Océan indien) (voir la carte des ” enjeux énergétiques en Asie Centrale”).

2. Les populations

La population afghane était estimée à 20.140.000 en 1995. Les divers exodes des dernières années (devant les Russes, puis la guerre civile, puis les Talibans, puis les frappes américaines) ont créé plus de 5 millions de réfugiés (essentiellement au Pakistan ou en Iran). Cette population n’est pas du tout homogène.
Les appartenances ethniques et tribales sont premières. Les Pachtouns forment l’ethnie majoritaire (50%) et se voulant politiquement dominante (dynastie Durrani ou les Talibans). Turkmènes, Ouzbeks, Tadjiks, Kirghizes sont des populations qui, par ailleurs, actuellement, ont une nation propre indépendante mais ne sont pas pour autant des ” étrangers”. Ils ont toujours habité les régions qu’ils habitent actuellement. Ce sont les frontières administratives qui ont bougé. Les Hazaras, occupant le centre montagneux du pays, sont les descendants des invasions mongoles des 13° et 14°s. Ces différentes ethnies relèvent sans doute de deux grands types : Caucasien d’une part et Mongol d’autre part.
Deux langues dominent : le Pachtoun et le Dari (ou Farsi), ancienne langue perse, parlée essentiellement par le Tadjiks mais aussi langue administrative et de culture. Les autres ethnies ont chacune leur langue (proche du turc ou du mongol). Même si chaque ethnie avait sa région de base, les populations s’étaient un tant soit peu mixées durant le dernier siècle. Les derniers 25 ans de troubles ont favorisé de mutuelles épurations ethniques.
Tous les Afghans sont sans doute actuellement musulmans (de gré ou de force) mais selon des clivages qui se superposent ou brouillent encore les autres. Ainsi les Pachtouns et les Tadjiks, politiquement ennemis irréductibles, sont pourtant tous deux sunnites de rite hanafite, tandis que les Hazaras sont chiites et qu’il reste des Ismaéliens et même peut-être des Zoroastriens (les Nouristanis) (voir le chapitre ” l’islam afghan”).

3. Repères historiques

– 2500 – 1000 av. J-C: des tribus aryennes s’installent dans la région ; les écrits sacrés pré-hindouistes (les Védas) font fréquemment allusion à la région
– 6°-5°s. av. J-C: la région est sous la domination perse des Achéménides (Cyrus, Darius, Xerxès, …), de religion zoroastrienne.
– 4°s.: Alexandre le Grand de Macédoine, dans sa conquête qui le mènera jusqu’à l’Indus, passe par la région (que les Grecs appellent ” Bactriane”). Alexandre séjourne à Balkh où il implante un camp durable (encore repérable archéologiquement). Il fonde plusieurs villes (Alexandria Arius = Hérat, Alexandria Arachosia = Kandahar, Alexandria Caucasum = Chahikar).
– de 250 à 125 av. J-C: sur les décombres de l’empire séleucide, la Bactriane parvint à se maintenir comme royaume indépendant et devint ainsi le centre d’une belle civilisation gréco-bouddhique
– 2°s. après J-C: l’Afghanistan est envahi par les Scythes (tribus caucasiennes) qui fondent l’empire parthe. Bien qu’ennemi de l’empire romain, le pouvoir parthe, assez hellénisé, favorise le commerce par la ” route de la soie” reliant la Chine à la Méditérranée en passant par l’Afghanistan (par Mazar-e-Sharif ou Herat-Bamyan-Kaboul) qui est ainsi en contact avec ces diverses civilisations.
– 3° au 7°s.: l’empire sassanide (perse iranien) prend la relève ; il est affaibli par les Huns hephtalites qui occupent l’Afghanistan dès le 5°s.
– 7°s.: affaibli par les Huns, par les Byzantins et par des querelles intestines, l’empire sassanide tombe facilement entre les mains des conquérants arabes musulmans dès 642. Le zoroastrisme est balayé d’Afghanistan au profit de l’islam.
– 11°s.: des dynasties musulmanes mais turques (les Ghaznévides) s’installent en Afghanistan
– 13°- 14°s.: les invasions mongoles (Gengis Khan puis Timour Lang) détruisent tout sur leur passage. Les Hazaras (Centre de l’Afghanistan) en sont les descendants.
– 15°-16°s.: des dynasties pachtounes règnent à Delhi et à Bengale en Indes mais ces royaumes sont éphémères à cause de conflits internes.
– 17°s.: écroulement des deux empires qui coinçaient l’Afghanistan: l’empire iranien séfévide à l’Ouest et l’empire indien moghole à l’Est
– 18°s.: l’Afghanistan se libère entièrement de ses deux voisins et devient indépendant en 1747. Il couvre à ce moment l’Afghanistan et le Pakistan actuels. Ahmad-Shah en est le premier souverain. Il est considéré comme le père (” baba”) de l’Afghanistan et est le fondateur de la dynastie Durrâni.
– 19°s.: à partir de 1809, l’Afghanistan est à nouveau coincé entre deux empires: l’empire russe au Nord et l’empire anglo-indien au Sud et à l’Est.
– en 1823, l’Afghanistan est réduit à sa surface actuelle et est en situation de résistance. Il se divise en principautés indépendantes.
– 1838-1842: 1° guerre anglo-afghane. Echec militaire anglais mais l’Angleterre entreprend de ” subsidier” les émirs. L’émir Dost-Mohammad joue habilement avec les Britanniques jusqu’en 1863.
– 1878 – 1880: 2° guerre anglo-afghane. Echec afghan mais l’émir Abd-or-Rahman obtient qu’aucun Anglais ne réside en Afghanistan en contrepartie d’une tutelle politique effective. L’ ” émir de fer”, très despotique, entreprend la modernisation du pays. Il règne jusqu’en 1901.
– 20°s.: 1901 – 1919: règne de Habibollah, fils de Abd-or-Rahman, plus souple mais non moins occidentalisant. Il obtient le respect de sa neutralité entre Russes et Anglais.
– 1919 – 1921: 3° guerre anglo-afghane . L’accord antérieur est dénoncé par l’émir Amanollah, fils et successeur d’Habibollah. Epuisée par la guerre 14-18 et craignant moins la nouvelle URSS, l’Angleterre concède l’indépendance de l’Afghanistan.
– 1919 – 1929: l’émir continue le programme de modernisation (un code civil remplace la Sharia en 1925) mais il veille à diversifier les aides étrangères (Turquie, Allemagne, Italie, France). Les religieux montent la population contre les réformes d’Amanollah qui est contraint d’abdiquer en 1929. Un bandit tadjik du nom de Batsha-Saqao prend le pouvoir et se fait proclamer émir sous le nom d’Habibollah II. Il est chassé après quelques mois par le général pachtoun Nader (de la lignée Durrani) qui est proclamé roi.
– 1929 – 1933: Nader Shah continue la modernisation mais avec plus de modération. Il intensifie la collaboration avec l’Allemagne, la France et l’Italie. Les Soviétiques ne l’apprécient pas. Ils le font assassiner.
– 1933: le fils de Nader, Zaher Shah, devient roi en titre mais, jugé trop jeune (19 ans), il ne règne pas (il devra attendre 1963). Le royaume est dirigé par des régents (ses oncles).
– 1933 –1939: coopération renforcée avec l’Allemagne et l’Italie. Tendances despotiques
– 1947: l’Afghanistan entre en conflit avec le Pakistan dès sa création pour des questions de frontières (la ” ligne Durand” imposée par les Anglais en 1893 séparant artificiellement des tribus pachtouns à l’Est et des tribus Baloutches au Sud)
– 1953 – 1963: Daoud, cousin du roi, est premier ministre. Il mène une politique anti-pakistanaise. A partir de 1956, il renoue avec l’URSS (les cadres militaires seront formés en URSS). L’Afghanistan trouvera auprès de l’URSS un soutien contre le Pakistan. Les USA favoriseront le Pakistan contre l’URSS…
– 1963 – 1973: le roi Zaher Shah prend effectivement le pouvoir et démet son cousin Daoud. Il met fin à la politique anti-pakistanaise. Il pratique une politique d’équilibre entre l’URSS et les USA mais l’aide soviétique sera plus significative (1964: route URSS – Kaboul via le tunnel de Salang à l’entrée du Panshir). Entre 1965 et 1978, il y a même du tourisme en Afghanistan (…sur la route du Népal).
– 1973: coup d’Etat de l’ancien premier ministre Daoud avec l’appui du parti communiste Partcham. Le roi, en voyage en Italie à ce moment, y restera en exil jusqu’en 2003. La république est proclamée. Daoud exerce une dictature particulièrement dure contre les intégristes religieux (dont Hekmatyar, Rabbani et Massoud). Ceux-ci commencent à fuir auprès des Pachtouns du Pakistan.
– 1975: début de réconciliation avec le Pakistan, sous l’égide de l’Iran.
– 1977: Daoud prend ses distances par rapport aux Soviétiques.. Des officiers de son armée (formés en URSS) renversent et exécutent Daoud. La même année, Zia ul-Haq prend le pouvoir au Pakistan et instaure une république islamique (inspirée des idées de Mawdoudi). Il offrira un soutien inconditionnel aux intégristes religieux pachtounes dans les camps pakistanais.
– 1978: conflits entre communistes afghans, Taraki et Amin du Khalk d’une part et Karmal du Partcham d’autre part.
– 1979: Les Soviétiques installent Karmal. La plupart des Afghans entrent en résistance (ils deviennent ” moudjahiddin”) contre ce régime communiste athée. Karmal fait appel aux Soviétiques qui entrent en Afghanistan (et qui l’occuperont jusqu’en 1989). La même année: renversement du Shah d’Iran et prise de pouvoir de Khomeyni. Par après, guerre Iran-Irak.
– 1986: La livraison par les Américains, via le Pakistan, de missiles Stinger aux moudjahiddin change le cours de la guerre aux dépens des Soviétiques. Le président Najibullah, pressé par Gorbatchev, propose une réconciliation nationale mais échoue.
– 1989: Les Soviétiques se retirent mais Najibullah reste en place. Il y a des ” forces gouvernementales” qui résistent.
– 1992: Les moudjahiddin (sous la conduite de Hekmatyar, Rabbani ou Massoud) prennent Kaboul mais se déchirent aussitôt entre eux. La population en fait les frais.
– 1994: apparition des Talibans à Kandahar. Il s’agit d’Afghans pachtouns, nés ou élevés dans les camps pakistanais, totalement conditionnés par le whahabisme (intégrisme musulman sunnite strict d’Arabie Séoudite… pays qui finançait les écoles coraniques, les ” madrasa”, ouvertes dans les camps).
L’occasion de leur rentrée en Afghanistan fut un coup de main donné aux transporteurs pakistanais désireux que la route Pakistan – Iran via Kandahar soit réouverte et non plus soumise à une multitude de chefs locaux qui rançonnaient les camionneurs. La population apprécia ce retour à la paix. Le Pakistan lâcha Hekmatyar au profit des Talibans.
– 1995: Les Talibans, aidés par des trahisons, prennent Herat (à l’Ouest), ville de culture persane, chiite et soufie, émancipée, fief d’Ismaïl Khan (chiite ismaélien).
Ils prennent aussi (en “achetant” le gouverneur) Djalalabat (à l’est de Kaboul) et occupent le Sud de Kaboul. Hekmatyar, ayant perdu le soutien pakistanais, doit abandonner. Massoud résiste au Nord de Kaboul.
– 1996: Les Talibans prennent Kaboul le 26 septembre et imposent en 24h la charia la plus stricte mais ils se désintéressent totalement des conditions de vie de la population. Najibullah est sauvegement exécuté.
– 1997: Les talibans prennent, suite à une trahison, Mazar-e-Charif (au Nord de l’Afghanistan), fief de l’Ouzbek Dostom. Ismaïl Khan, également trahi, est fait prisonnier des Talibans mais parviendra à s’échapper le 27/3/00. Massoud reste seul résistant. L’ancien ennemi mortel des Russes commence à recevoir de l’aide russe contre les Talibans via le Turkménistan. La député européenne Emma Bonino est faite prisonnière des Talibans pendant quelques heures. L’Europe va commencer à s’intéresser au sort de l’Afghanistan.
– 1998: Les talibans prennent Bamyan (Ouest de Kaboul, Centre de l’Afghanistan), région des Hazara, chiites. L’Iran (chiite) menace les Talibans (sunnites, anti-chiites).
– 7/8/98: attentats anti-américains au Kenya et en Tanzanie. Les Américains y reconnaissent la main de Ban-Laden qui s’était entretemps réfugié en Afghanistan auprès des Talibans. Ceux-ci refusent de le livrer. L’Arabie désavoue Ben-Laden.
– 20/8/98: les Américains bombardent son camp de Djalalabad. Les Américains, qui misaient sur les Talibans pour obtenir la construction d’un oléoduc Caucase – Golfe, cessent de soutenir les Talibans.
– 1999 – 2000: Les Talibans détiennent 90 % du territoire afghan. Seul Massoud résiste efficacement et parvient péniblement à créer une ” Alliance du Nord”. Echec de toutes les tentatives de l’ONU ou de l’UE de faire respecter les Droits de l’homme par les Talibans.
– 10/03/01: destruction à la dynamite des Bouddhas de Bamyan. Emoi de la communauté internationale.
– 9/09/01: assassinat du Cdt Massoud par de faux journalistes munis de faux passeports belges (par ce fait, le nom de la Belgique est désormais connu en Afghanistan …)
– 11/09/01: attentat contre les deux tours à New-York, commandité par Ben-Laden. Les Américains prennent la décision de liquider Ben-Laden et les Talibans qui le protège.
– 7/10/01: début des frappes américaines à distance.

4. L’Islam en Afghanistan

– Le sunnisme de rite hanafite

Le sunnisme est: un des deux grands courants qui forment l’islam classique. Il concerne 85 % du monde musulman. Il tient son nom de sa référence à la Sunna, ensemble des traditions sur les faits et gestes du Prophète et de ses compagnons, ainsi qu’aux Hadith, traditions sur les paroles du Prophète. Ces deux sources ont fini par former un corpus de référence presqu’aussi important que le Coran.
Entre 750 et 850 de notre ère, le recours à des Traditions différentes et la formulation de jurisprudences (Fiqh) différentes finit par former quatre écoles distinctes : malékite (Afrique occidentale et Maghreb), chaféite (Asie et Moyen-Orient), hanbalite (Arabie), hanafite qui fut l’école officielle de l’empire ottoman et qui est l’école la plus suivie en Asie centrale. La majorité des tribus afghanes relèvent de cette obédience.

– Le chiisme

Le chiisme, l’autre grand courant, est essentiellement implanté en Iran. Mais des minorités chiites existent en Irak, en Syrie, au Liban. Il se distingue, entre autre, par une tradition particulière sur la succession du Prophète : seuls les descendants d’Ali (gendre et cousin de Mohammed et son quatrième successeur) et de Fatima (fille de Mohammed et épouse d’Ali) peuvent revendiquer la succession. Mais, plus largement, il s’agit d’une mentalité différente, plus ” mystique” que le sunnisme. La population Hazara (centre de l’Afghanistan, descendants des Mongols) est chiite, ainsi que des tribus à l’Ouest de l’Afghanistan (frontière iranienne).

– L’ismaélisme

A l’intérieur du chiisme, il faut encore distinguer en effet trois traditions différentes : zaydite (qui ne reconnaît comme digne successeur du prophète que les quatre premiers imams), les septimains (ou ismaéliens, qui en reconnaissent sept) et les duodécimains (qui en reconnaissent douze et qui ont développé l’idée de l’ ” imam caché” qui reviendra à la fin des temps). L’ismaélisme est, de très loin, la forme la plus évoluée et la plus ouverte de l’Islam. Son centre névralgique est plutôt le Nord du Pakistan. Son chef spirituel est l’Agha Khan (résidant depuis longtemps en Europe). Il y a des tribus ismaéliennes afghanes autour de Hérat et surtout au N-E (frontière pakistanaise).

– Les soufis

Le soufisme est un mouvement mystique chiite, culturellement très ouvert. Il a été très florissant à Hérat et a produit de grands poètes (Ansari, Roumi, …). Il a formé des confréries politiquement assez puissantes (très royalistes) en Afghanistan. Il est considéré comme hérétique par le sunnisme et a d’ailleurs été combattu par les Talibans.

– Les moudjahiddin

Ils relèvent d’un mouvement politico-religieux réformateur – intégriste qui s’est
structuré en Afghanistan par la lutte contre les Soviétiques. Hekmatyar, Rabbani,
Massoud, …en sont des représentants. Ils s’inspiraient directement des idéologues suivants:

Afghani (1838 – 1898) qui, malgré ce surnom, n’est pas Afghan mais bien Persan chiite. Il voulait un islam libre du colonialisme occidental, indépendant (pas d’autorité non-musulmane sur des musulmans!) et uni (union des peuples musulmans dans un même Etat). Il voulait un islam épuré de ses pratiques et traditions parasites, acceptant de réouvrir l’interprétation du Coran (ijtihad) et réhabilitant la raison et les sciences. Il ne voyait pas les trois religions monothéistes comme antagonistes.
Al-Banna, fondateur en Egypte,en 1928, des Frères musulmans. Partisan du ” retour aux sources” (” salafisme”: retour aux sources épurées, aux traditions les plus anciennes et les plus sûres). Souci social pour les masses. Emprunt à l’Occident de ses techniques mais pas du reste. Structuration militaire et clandestinité.
Mawdoudi (1903 – 1979), Indopakistanais, estimait que le devoir essentiel de l’Etat était de faire appliquer strictement les règles de l’islam, au nom de la hâkimiya (domination par le Dieu Juste) incompatible avec la hukumiya (domination par le pouvoir temporel). Tout le reste est à ranger dans la jâhiliya (société païenne et ignorante) que tout musulman doit combattre. Le régime du général Zia au Pakistan était entièrement sous l’influence de cette idéologie, les medrese (écoles coraniques) pour réfugiés afgans dans les camps pakistanais aussi. Cette idéologie a donc eu un effet direct sur les Talibans mais aussi sur les moudjahiddin.

– Les Talibans

Afghans réfugiés (parfois depuis 1979) dans des camps au Pakistan et ayant été éduqués dans les ” medrese” (écoles coraniques) financées par l’Arabie séoudite et diffusant la version wahabite de l’islam ainsi que les idées du Pakistanais Mawdoudi. La dimension de réforme interne à l’islam y est complètement occultée au profit du rigorisme le plus étroit. Ils sont apparus dans un premier temps comme des libérateurs par rapport à l’anarchie et aux querelles internes des moudjahiddin après le départ des Soviétiques.

Le wahabisme est une idéologie élaborée par Abd al Wahab (né en 1703 en Arabie), ancêtre de l’actuelle famille royale saoudienne (qui en a toujours fait sa propre idéologie politico-religieuse). Le wahabisme s’oppose à tout pouvoir non-musulman sur des musulmans et même à toute présence non-musulmane en terre d’Islam, même pour un objectif favorable aux musulmans. Il préconise un Etat théocratique dépolitisé ( la seule politique consistant à appliquer le Coran), une application stricte de la Sharia et l’expansion de l’islam sunnite (exclusivement sunnite, pouvant impliquer la lutte contre le chiisme) dans le monde.

– Al-Queida

Mouvement politico-militaire né en réaction contre l’intervention et la présence américaine en Arabie Séoudite lors de la 1° guerre du Golfe. Oussama Ben Laden, prince séoudien outré par la trahison des principes wahabites par son propre pays, s’ est fait le porte-parole et l’exécutant d’un wahabisme conséquent.

5. Le fonctionnement tribal

Voici la meilleure analyse sociologique que j’ai trouvée sur le fonctionnement du pouvoir traditionnel en Afghanistan, une nœud incontournable pour une solution qui, on le lira, ne sera pas facile et exigera beaucoup de lucidité et de volonté concertée…

“1. La société afghane refuse toute domination extérieure directe, toute occupation étrangère physique de son sol. Elle accepte en revanche la domination indirecte; elle ne peut même s’en passer.

2. Dans le jeu politique tribal, aucun chef ne peut s’imposer aux siens s’il n’est pas en mesure de distribuer à sa tribu des largesses sous forme d’argent, d’armes, de nourriture. Un chef qui ne peut distribuer ces largesses est remplacé par son rival plus généreux. L’Afghanistan étant un pays pauvre, aucun chef ne trouve de quoi redistribuer des largesses suffisantes à sa tribu sans subvention extérieure. Aussi tous les chefs afghans d’une quelconque importance à émerger sur la scène politique du pays depuis cinq siècles ont toujours étroitement dépendu d’une subvention impériale extérieure: perse, moghole, britannique, russe, pakistanaise ou américaine. Ainsi toutes les puissances étrangères intéressées par l’Afghanistan ont-elles appris à manipuler les chefs des tribus qu’elles subventionnaient selon leurs propres besoins.

3. La société afghane traditionnelle sait lutter contre toute domination étrangère en lui refusant sa collaboration, en s’auto-détruisant en tant qu’entité politique unitaire, en s’éparpillant en chefferies rivales, en se désintégrant; toutefois, elle ne possède aucun mécanisme politique pour susciter une nouvelle unité en son sein; l’unité ne peut renaître que sur intervention décisive d’une puissance étrangère, laquelle devra appuyer de tout son poids –mais sans jamais être présente physiquement en Afghanistan- l’une des chefferies tribales.

4. La société afghane traditionnelle, malgré la farouche défense de son autonomie interne, se place toujours en situation de parasite économique et politique envers l’une des puissances étrangères qui l’entourent ; si elle est envahie par une de ces puissances, elle gagne l’alliance de l’autre; mais aucun chef n’émerge seul des rivalités internes sans l’appui économique et militaire de la puissance extérieure qu’il se choisit. D’où la responsabilité engagée de la puissance extérieure dans le destin politique intérieur afghan.

5. La société afghane elle-même, par ses rivalités internes, invite donc à l’ingérence étrangère dans ses affaires. Toute puissance extérieure intéressée par les affaires afghanes se voit dès lors entraînée, fût-ce malgré elle, dans le jeu afghan interne, y engage sa responsabilité, se voit acculée à faire elle-même les bons choix pour faire émerger en Afghanistan un pouvoir politique unitaire acceptable par la population. En cas de mauvais choix, si la chefferie afghane appuyée par l’intervenant étranger reste inacceptable par la population, il en résulte des années de guerre intestine, jusqu’à ce qu’un nouveau chef acceptable, mais toujours appuyé par un agent extérieur, impose sa domination par la force.”
(D’après Michael Barry, La résistance afghane, Champs-Flammarion, Paris, 1989, pp. 34-35.)

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