Recension de livre – Les guerres de demain

Recension du livre: Pascal BONIFACE, Les guerres de demain, Seuil, Paris, 2001, 212 pages.

 

Selis Claude

Pascal BONIFACE, Les guerres de demain, Seuil, Paris, 2001, 212 pages.

L’auteur est directeur de l’Institut des Relations Internationales et Stratégiques (France) et enseigne à l’Institut d’études politiques de Lille. Il est régulièrement invité à commenter l’actualité dans les media. Son dernier ouvrage dresse un inventaire des conflits potentiels de cet  » après 11 septembre 2001″. Il tente d’en analyser les données et en évalue le degré de gravité. Il dénombre ainsi pas moins de 37 guerres possibles que je crois utile de présenter brièvement mais exhaustivement.
Le terrorisme est, sans conteste, la principale menace pour l’avenir. Il a l’  » avantage » de pouvoir faire énormément de dégâts avec peu de moyens et même à l’encontre de grandes puissances. Dans la mesure où il n’est pas commandité par un Etat, il y a peu de moyen de rétorsion mais il n’y a pas non plus d’objectifs de conquête à craindre.
Les guerres de civilisations ne sont pas le scénario repris par l’auteur. Il réfute ainsi les thèses de Huntington au nom de quelques objections: bien des conflits ont lieu à l’intérieur des  » civilisations », il y a des alliances au-delà de ces clivages, une  » civilisation » n’est pas un acteur politique concret.
L’auteur dénie également qu’il y ait des guerres de religion. Certes, elles peuvent jouer un rôle mais la dimension politique est plus importante. L’auteur ne voit pas l’islamisme radical comme une menace particulière vu le caractère hétérogène, rival même des pays musulmans. Par contre, il représente surtout une menace de déstabilisation pour ces pays.
Y a-t-il risque de confrontation USA / pays musulmans? Les USA n’ont de relations conflictuelles qu’avec 4 pays musulmans alors qu’ils ont des relations stables et étroites avec la majorité des 15 pays musulmans les plus peuplés et des relations de partenariat économique et politique avec 4 autres. Cependant, les populations n’ont pas toujours beaucoup de sympathie pour les USA.
La menace viendrait-elle des Etats-parias? Ils représentent en effet une menace vu leur non-respect des règles internationales et leur totale irresponsabilité politique mais beaucoup d’Etats-voyous entretiennent de très bonnes relations avec les USA ! A moins que ne soient  » voyous » que ceux qui s’opposent aux USA?
Les guerres nucléaires sont-elles encore d’actualité depuis la disparition de l’URSS? Actuellement, c’est la faiblesse de la Russie qui représente le plus grand danger par le risque de déclenchement accidentel de fusées, par le trafic de composants et de matières fissiles ou par la fuite de cerveaux russes aux plus offrants. Cependant, la fabrication d’une bombe nucléaire et son lancement ne sont pas des opérations simples ni aisément dissimulables.
Par contre, les guerres chimiques redeviennent une menace à prendre au sérieux. Les armes chimiques sont faciles à fabriquer, peu coûteuses, indécelables. Elles provoquent des souffrances atroces et peuvent avoir des effets à long terme. Elles ne seront pas très efficaces contre des armées bien équipées mais atteindront les civils.

Les armes bactériologiques sont encore plus faciles et moins chères à fabriquer. De plus, elles ne demandent pas de stockage encombrant et sont également indécelables. Leur dispersion est extrêmement aisé (par les conduites d’eau par exemple). Leur inconvénient est d’être incontrôlable et donc les utilisateurs peuvent en devenir les victimes.
Une guerre Nord-Sud, malgré les inégalités criantes qui vont en s’accentuant, ne semble pas constituer une menace concrète pour le moment.
De même, malgré un accroissement beaucoup plus rapide de la population dans le Sud que dans le Nord, la guerre démographique ne sera pas une cause de guerre comme telle mais seulement un facteur.
Les diasporas peuvent peser dans un pays ou un autre et représenter un facteur de déséquilibre dans la mesure où la solidarité de telle diaspora jouerait en faveur du pays d’origine s’il devenait ennemi.
Les flux migratoires peuvent également, par leur poids (estimé à 120 millions de personnes de par le monde actuellement), créer des déséquilibres, provoquer des interventions politiques ou militaires fragilisant les pays limitrophes.
La faim est devenue une arme pour décimer une minorité indésirable ou pour faire du chantage à l’aide internationale. Elle peut aussi fragiliser l’Etat.
Inutile de rappeler que le pétrole est une ressource énergétique très convoitée. En particulier, pour le moment, bien des conflits dans le Caucase s’expliquent par l’attrait des réserves de la Mer Caspienne et la modification de la carte régionale des oléoducs.
Plus vitale encore est l’eau, là où il s’agit de partager une ressource entre plusieurs riverains.
Tout aussi vital est l’environnement. La sur-exploitation d’une ressource par un seul pays ou la pollution engendrée par cette exploitation pouvant créer des dommages indirects, incalculables et à long terme, des pays ou une autorité internationale pourraient être amenés à intervenir par la force. La volonté d’appropriation d’une ressource rare pourrait également être source de conflits.
Le marché de la drogue a pris une telle ampleur que celui-ci peut exercer du chantage sur certains pays ou les déstabiliser. Des conflits peuvent être créés pour camoufler des marchés.
La guerre économique a bien lieu sous nos yeux mais elle se passe entre milieux policés qui ne souhaitent pas que cela débouche sur des conflits armés de grande ampleur. L’utilisation stratégique de sanctions économiques ne semble, elle, pas très convaincante.
La maîtrise des réseaux de l’information justifierait certainement des actes de guerre de la part de ceux qui y prétendent. La perturbation de ces réseaux (par virus, bombes logiques, …) devient une autre forme de résistance ou d’anarchie.
L’espace représente un enjeux stratégique déterminant. L’armement balistique planétaire a déjà englouti des sommes et des énergies folles (la guerre des étoiles), non moins que la protection contre cette menace (bouclier nucléaire). Mais, réservée à quelques grands qui ne sont plus ennemis, cette menace n’a plus la même actualité.
Loin des étoiles et mêmes des campagnes, les villes sont occupées à devenir le théâtre de guerres urbaines entre bandes rivales sans lois mais se retournant aussi contre tout ce qui représente l’ordre ou le bon fonctionnement de la ville, installant un climat d’insécurité touchant tout le monde dans sa vie courante. Les armées classiques et même les forces de l’ordre sont mal adaptées à lutter contre cette criminalité.

Les guerres de sécession se sont multipliées depuis la fin de la logique des Blocs. Il ne s’agit plus ici de guerres de conquêtes mais de guerres civiles faisant des ravages. Quand on sait qu’il y a plus de 5.000 peuples ou ethnies susceptibles de revendiquer leur sécession, vers quel multiplication des risques se dirige-t-on?
Entre une grande puissance et des pays ou groupes moins ou peu puissants, ce seront des guerres asymétriques (sur-puissance attaquée par de faibles moyens d’une sous-puissance) ou dissymétriques (sur-puissance attaquée en ses points faibles).
L’auteur inventorie ensuite 11 cas de guerres potentielles (chapitres 24 à 34) entre des pays déterminés (Chine / USA ; Chine – Russie / USA ; Chine / Russie ; Chine / Japon ; Japon / USA ; Inde / Chine ; Inde / Pakistan ; Corée du Nord et du Sud ; Grèce / Turquie ; Iran / Arabie ; France / Allemagne). Une très courte analyse accompagne un évaluation du risque.
La Russie pourrait-elle un jour constituer à nouveau une menace? A l’heure actuelle, c’est plutôt sa faiblesse qui est une menace pour la paix mondiale. D’autre part, depuis le 11 septembre, ayant trouvé un ennemi commun dans le terrorisme, les USA et la Russie se sont considérablement rapprochés.
Le football , dans la mesure où il exacerbe des nationalismes peut devenir un facteur belligène. En principe, il devrait servir de dérivation ou de sublimation aux agressivités entre pays mais l’effet peut être contraire.
Le tourisme est, en soi, une invasion bien pacifique mais il peut susciter des rancœurs et les touristes devenir des proies ou des otages faciles pour exercer des pressions de toutes sortes.

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L’auteur ne dégage pas de conclusions. Le livre se présente donc comme une suite de 37 petits chapitres de 5-6 pages chacun. Il n’a manifestement pas de prétention scientifique. Il veut sans doute clarifier les enjeux de ces situations pour les mettre à la portée d’un grand public mais y réussit-il en mettant sur le même pied des situations aussi différentes tenant, selon les cas, à des acteurs indéterminés, à des groupes d’acteurs, à des types d’armement, à des méthodes de combat, à des facteurs indirectement belligènes, à des espaces, à des facteurs politiques, à des Etats déterminés,…? On aurait aimé, au moins en conclusion, une typologie qui eût été éclairante pour le grand public et intéressante pour les polémologues ! Le livre a le mérite de ne pas jouer le jeu facile de l’épouvante ni de la révélation de pseudo-secrets mais l’explication est tellement générique et l’évaluation du risque tellement vague qu’on en est pas très éclairé sur ce que demain nous réserve.

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