Recension de livre – Le bel avenir de la guerre

Recension du livre: Ph. DELMAS, Le bel avenir de la guerre, NRF-Essais Gallimard, Paris, 1995, 281 p.

 

Selis Claude

Ph. DELMAS, Le bel avenir de la guerre, NRF-Essais Gallimard, Paris, 1995, 281 p.

L’auteur est conseiller référendaire à la Cour des Comptes (en France) et a été chargé de mission auprès du Ministère des Affaires étrangères pour les questions politico-militaires jusqu’en 1993. Au-delà de l’aspect « essais » (avec ce que cela inclus de liberté de parole, de polémique et de caractère non-académique), le livre détient donc une certaine autorité. De ce point de vue, il est osé et original. Il est, par ailleurs, bien construit et argumenté. Il est parfois difficile cependant de faire la part entre des informations de type journalistique (et donc très peu fiables, nécessitant en tout cas vérification) et des informations diplomatiques de première main (et qui, comme telles, seraient des révélations ahurissantes achevant de miner toute confiance dans les systèmes politico-militaires !). Le livre est, de plus, très agréable à lire de par la qualité de l’écriture (il abonde en formules bien frappées) et la brillance de l’esprit.
Plus largement que son titre ne le porterait à croire, le livre se présente comme une analyse politique globale de la situation nouvelle de l' »après-Mur de Berlin ». Avant la chute de celui-ci et étant donné la puissance de destruction nucléaire des deux Blocs, le monde a vécu dans l’angoisse, certes, mais aussi selon un ordre -imposé par cette bipolarisation- ayant une certaine rationalité et régi, finalement, avec un certain sens de la responsabilité. La fin de cette « logique de la mort assurée » est en passe de défaire tous les liens, toutes les alliances (y compris, très concrètement, l’OTAN: voir tout le chapitre 4, pp.57 à 82) et à obliger le monde à repenser son ordre.
L’économie pourrait-elle devenir ce nouvel ordre mondial? C’est ce que conteste absolument l’auteur. Quelque puissante soit celle-ci, elle n’a pas par elle-même d’effet intégrateur et peut, au contraire, à tout moment, dégénérer en casus belli.
L’ordre juridique pourrait-il remplir ce rôle? Il s’agit d’une pure utopie, selon l’auteur, naïve et dangereuse. Il n’y aura pas d’ordre juridique sans ordre politique. Or nous assistons à une fragmentation du pouvoir politique (vu la multiplication du nombre d’Etats et la faiblesse de ceux-ci) qui rend d’autant plus difficile le consensus juridique et le respect de celui-ci. Ces nouveaux Etats se définissant essentiellement sur des bases ethniques ou religieuses, le potentiel conflictuel en est d’autant augmenté.
Il faut donc se remettre à penser la guerre mais dans un tout autre contexte que celui de la confrontation de grandes Puissances. Les guerres futures ne seront sans doute plus des guerres de puissance mais des guerres d’identité ou de nécessité (économique). Il ne faut pas croire qu’elles seront des guerres limitées. Elles resteront peut-être locales mais elles seront bien totales, étant donné l’irresponsabilité même des Etats qui les engageront non moins que les déficiences dans le commandement et dans les moyens technologiques (au moins ils sont sûrs et adaptés, au plus on en viendra rapidement aux « grands moyens »). Ces guerres pourraient très bien être nucléaires. Les tecchnologies les plus évoluées du nucléaire ne sont peut-être pas à la portée de tout le monde mais la technologie de base et la fabrication en petite quantité le sont bel et bien.
En regard de cette réalité et de ces risques, l’idéologie du « droit d’ingérence humanitaire » comme nouvelle définition de la politique étrangère des grandes Puissances ou des organes supra-nationaux semble non seulement dérisoire, inefficace et honteuse mais même franchement perverse tant elle est liée à l’émotionalité. L’auteur se livre ici à une critique virulente des idées de Bernard Kouchner (dans « Le malheur des autres », Odile Jacob, 1993). Pour parer à cette logique de l’émotionalité et de la subjectivité, l’auteur préconise le retour à une véritable doctrine de politique étrangère dont la priorité serait la stabilité des Etats afin de restaurer le sens politique de la responsabilité. Sinon, la guerre aura encore un bel avenir…

Ce livre a le mérite de dégonfler un certain nombre de baudruches (ou en tout cas de jeter la suspicion sur quelques idées communes) comme l’idée selon laquelle l’économie pourrait servir de nouvel ordre mondial ou que les institutions internationales (telles que l’ONU et ses agences) pourraient désormais résorber tous les conflits ou que les guerres futures ne seront plus que des conflits limités sans risques majeurs. Le livre est fécond du point de vue des dénonciations ou des prises de conscience. Mais il y a à dénoncer dans ce livre l’à-priori suivant lequel seules les Grandes Puissances (dont la France en l’occurrence) seraient capables d’être sérieuses et responsables ou suivant lequel l’instabilité proviendrait de la multiplication des Etats (tous les pays colonisés ou satellisés n’avaient-ils donc pas droit à retrouver leur souveraineté???). L’auteur souhaite-t-il un retour aux conceptions de Metternich? Le fait que l’auteur donne priorité à la stabilité sur la démocratie (p.269) donne quelques frissons, même si cela pose un vrai problème. Le problème de la légitimité par la démocratie n’est cependant pas posé comme tel par l’auteur. Plus curieusement encore, pas un instant il ne soupçonne que l’idée même d’Etat-Nation pourrait être la cause de bien des conflits inter et intra-étatiques. Nous touchons là aux limites de cet essai qu’à mon sens il ne faudrait surtout pas prendre comme nouvelle doctrine.

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