Recension de livre – La paix mondiale par la paix entre les religions

Recension du livre: Hans KUNG, La paix mondiale par la paix entre les religions. Projet d’éthique planétaire, éd. du Seuil, Paris, 1991 (1990 pour l’édition originale en allemand), 247 p.

 

Selis Claude

Hans KUNG, La paix mondiale par la paix entre les religions. Projet d’éthique planétaire, éd. du Seuil, Paris, 1991 (1990 pour l’édition originale en allemand), 247 p.

Le sous-titre de ce livre ( » La paix mondiale par la paix entre les religions ») nous en indique la thèse centrale et tout son intérêt pour notre problématique.
Le grand théologien suisse nous livre –comme d’habitude, oserais-je dire- une réflexion fondamentale, bien construite et très bien instruite des derniers développements de la réflexion philosophique contemporaine.
L’articulation de base du raisonnement est la suivante:
· Il n’y aura pas de survie pour l’humanité sans une conscience éthique partagée au niveau planétaire
· Il n’y aura pas de paix mondiale sans paix religieuse
· Il n’y aura pas de paix religieuse sans dialogue religieux.

L’auteur débute sa réflexion par un constat de faillite des idéologies modernes (areligieuses et antireligieuses) face à la guerre et à la violence alors qu’elles avaient précisément détrôné la référence religieuse dans la conduite du monde du fait qu’elle s’était révélée la source principale de la violence (les « guerres de religion », depuis le 16° siècle). Les socialisme, communisme, capitalisme,  » japonisme », positivisme scientifique n’ont pas mieux réussi que les religions, au contraire. Il ne s’agit pas de nier la modernité dans son ensemble mais seulement dans ses limites inhumaines et, surtout, de redéfinir une  » synthèse nouvelle, différenciée, pluraliste et holistique ».

Une religion particulière, fût-elle la plus répandue, ne pourra plus jamais servir de référence éthique incontestée mais une idéologie humaine ne parviendra jamais non plus, seule, à fonder ultimement un comportement moral ( » seul l’inconditionné peut fonder inconditionnellement »). Or, il faut une éthique qui  » oblige » et qui motive à l’action et non plus seulement des discours éventuellement généreux mais sans impact. Hans Küng règle au passage ses comptes avec quelques auteurs contemporains (discrètement, dans les notes en fin de volume): avec Lyotard et Foucault (à cause de leur solipsisme et de leur esthétisme), avec Rorty (à cause de la désinvolture de son  » ironisme »). Par contre, il ne cache ni sa sympathie ni son intérêt pour Max Weber, Hans Jonas ou Karl-Otto Appel. Il plaide (avec Jonas) pour une éthique de la responsabilité et contre toute éthique utilitariste (ou  » de la réussite », où la fin justifie les moyens). Mais  » éthique de la responsabilité » ne s’oppose pas à  » éthique de la conviction » (contrairement à ce que l’on fait dire à Max Weber). Au contraire, les éthiques de convictions (dont les éthiques à fondements religieux) peuvent donner un  » ancrage » impératif et motivant aux implications de la responsabilité nouvelle de l’homme envers l’humanité. A Habermas, Küng reprend l’idée de l’importance incontournable du consensus (mais il souligne le danger de stérilité s’il n’y a pas référence à un principe transcendant) et la traduit en termes de dialogue (interreligieux entre autre). Il veut encore coupler le principe très réaliste de la responsabilité (Jonas) au principe utopique de l’espérance (Bloch). A ce propos, Küng passe sous silence (ou ignore?) qu’il y a contradiction, de l’avis même de Jonas, avec l’éthique utopiste de Bloch (et avec ses propres idées) puisque celle-ci est, en fait, une éthique utilitariste et téléologique (orientée vers une fin). Point d’incompatibilité donc entre les religions et les philosophies non-confessionnelles à condition que les philosophies abandonnent une conception trop étroite de la rationalité humaine (p.76) et que les religions acceptent d’être rationnelles à propos de l’homme (p.72).

Qu’en est-il du dialogue interreligieux , de sa possibilité, de ses conditions? Hans Küng rejette d’emblée toute position relativiste (toutes les idées se valent) ou exclusiviste (seule mon idée est la bonne). Il prône une position  » inclusiviste » (apprendre à connaître les idées des autres, chercher les dénominateurs communs, se mettre formellement d’accord à propos de ceux-ci et s’en faire porteurs). En tout cas,  » pas de dialogue religieux sans recherche théologique fondamentale » (p.173). Après enquête (et, en effet, Hans Küng avec le soutien de la Fondation Robert Bosch a poussé très loin l’investigation sur les convergences ou les divergences éthiques des grandes religions), l’auteur estime qu’il y a moyen de définir un minimum commun suffisant (pp.111-117). De plus, ce dialogue interreligieux a bel et bien lieu (Kyoto 1970 ; Assise 1986 ; Stuttgart 1988 ; Bâle 1989 ; Séoul 1990). Ce dialogue doit être poursuivi avec tous les groupes, à tous les niveaux, de la manière la plus dense possible, conclut l’auteur.

Ce livre constitue, à mon avis, une excellente et très riche base de travail et de discussion pour des personnes ou des groupes qui voudraient approfondir cette question si importante de la responsabilité des religions vis-à-vis de la paix mondiale. Qu’il me soit permis cependant d’émettre l’une ou l’autre critique.
Certes, on ne peut que s’incliner devant des esprits qui osent encore faire des synthèses et chercher des dénominateurs communs (des  » universaux »? !). Mais le danger de réductionnisme n’est pas loin et Küng n’y échappe pas vraiment. Son christianocentrisme est évident (ce qui ne nous dérange pas mais qui dérangerait certainement un lecteur musulman de ce livre…). Le christianisme lui-même est prié de s’y réduire à un humanisme (mais les confessions chrétiennes se sont précisément divisées sur des conceptions différentes de l’homme et de la vie en société alors qu’elles se référaient au même Dieu ! ! ! Et comment accepter la quasi-évacuation de Dieu dans cette discussion?). Enfin, et malgré ses critiques de l’européanocentrisme (pp.179-189), l’auteur en reste véhémentement suspect (de par son humanisme rationaliste, même redéfini). Ne revenons pas sur l’une ou l’autre incohérence ou contradiction purement philosophique (comme en la volonté d’harmonisation du réalisme de Jonas et de l’utopisme de Bloch, et pourquoi alors refuser Rorty? Comment rappeler l’exigence d’un fondement ultime alors qu’il y a de quoi se demander où est Dieu dans le système de Küng et qui est-il?). Bref, de quoi alimenter les discussions, sans rien enlever à l’intérêt de l’ouvrage.

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