Violence, guerre et paix dans l’Antiquité chrétienne

Violence, guerre et paix dans l’Antiquité chrétienne

Violence, guerre et paix dans l’Antiquité chrétienne. Une analyse.

 

Selis Claude

Présentation générale:

Cette troisième livraison concerne l’Antiquité chrétienne. Les auteurs chrétiens jusqu’au 4° siècle n’ont pas spécifiquement écrit sur le sujet qui nous retient ici. Mais ils témoignent d’un renversement radical d’attitude par rapport à la violence. Ce renversement tient en un principe : celui de la non-résistance à la violence physique. Il trouve son origine dans les Evangiles (qui feront l’objet d’un fascicule distinct) où il est clairement énoncé mais non expliqué. Il recèle une intuition très forte selon laquelle la violence est toujours un cycle infernal et qu’il faut donc casser ce cycle pour en sortir. Ces fondements ne sont malheureusement pas plus travaillés chez ces auteurs que dans les Evangiles. Le principe en est par contre amplement exemplifié. Le contexte historique des persécutions (finalement, un colossal malentendu !) en a donné la dramatique occasion.

Toute occupée de théologie, l’immense littérature patristique n’offre pratiquement pas d’œuvres dont le sujet soit la philosophie politique. Même la Cité de Dieu de St Augustin est plus une apologie du christianisme qu’une véritable réflexion de philosophie politique. Ce seront donc parfois de courts extraits dans une œuvre ou des œuvres mineures (et assez inconnues) qui nous serviront de sources. Huit encarts didactiques complèteront l’aperçu de cette période riche de fidélité à un principe mais pauvre de réflexion et néanmoins capitale pour la suite de l’histoire.

· Auteurs étudiés
Violence, guerre et paix dans l’Antiquité chrétienne

Auteurs et œuvres:
1. (Anonyme): à Diognète
2. TERTULLIEN: de Corona
3. ORIGENE: Exhortation au martyre
4. CYPRIEN de CARTHAGE: Exhortation au martyre
5. LACTANCE: Institutions divines
6. EUSEBE de CESAREE: Eloge de Constantin
7. ATHANASE d’ALEXANDRIE: contra Arianos
8. HILAIRE de POITIERS: contre Constance
9. AMBROISE de MILAN: de Officiis
10. AUGUSTIN d’HIPPONE: La Cité de Dieu

Encarts documentaires:
1. Synoptique : un contexte de persécution
2. La question du service militaire chez les chrétiens des premiers siècles
3. Des légions chrétiennes au 2°s. (la Fulminata) et au 3°s. (la Thébaine)
4. Le césaropapisme et la militia christi
5. Le sort des objecteurs de conscience au concile d’Arles (314)

Á DIOGNETE [0]

“Etre dans le monde sans être du monde”

L’auteur de cet écrit du 2° siècle n’est pas connu. Il est adressé à un certain Diognète, peut-être un personnage de la hiérarchie administrative romaine, peut-être personnage fictif mais représentatif de ce milieu. En effet, le but du document est de justifier devant un non-chrétien l’opinion et la place des chrétiens par rapport au monde qui les entoure. Seuls les chapitre 5 et 6 concernent notre sujet. L’auteur fait d’abord valoir que ” les chrétiens ne se distinguent du reste des hommes ni par leur terre, ni par leur langue, ni par leurs vêtements. Ils n’habitent pas des villes qui leur soient propres, ils n’usent d’aucun dialecte étrange, leur genre de vie n’a rien d’exentrique. Ils habitent les cités grecques ou barbares, chacun selon son destin ; ils se conforment aux usages locaux en ce qui concerne le vêtement, la nourriture ou le reste du mode de vie”. Le chrétien se distingue par le détachement qu’il manifeste par rapport au monde : ” Chacun réside dans sa patrie mais comme le ferait un étranger. (…) Toute terre étrangère est sa patrie et toute patrie lui est étrangère”. Ce détachement l’ouvre, très concrètement, à un universalisme propre à désamorcer tous les conflits suscités par les rivalités entre les peuples ou par les particularismes identitaires. Ce détachement n’empêche pas le loyalisme du chrétien par rapport à la société où il vit même si, pour lui, les lois de la cité ne sont pas le dernier mot de la vie communautaire ” Il obéit aux lois établies mais, par son mode de vie, il s’élève au-dessus de ces lois”. Ce sont, en effet, les lois plus exigeantes, d’une autre cité, qui le guide fondamentalement : ” Son existence se passe sur la terre mais il est citoyen du ciel”. Le thème de la double citoyenneté est ainsi amorçé dans la pensée chrétienne. A cause de cette référence à une loi supérieure, le chrétien peut se trouver dans une situation paradoxale : ” Il aime tous les hommes mais les hommes le persécutent. …” . Le chrétien ne réplique pas à la violence par la violence car, par sa réaction inattendue de patience, il compte sur d’autres victoires. Le combat du chrétien sera plutôt d’ordre moral. Ce qui fait que ” les chrétiens sont au monde ce que l’âme est au corps”. L’auteur fait ici (chap.6) un développement fâcheusement teinté de platonisme (le corps est un tombeau pour l’âme). Cette position donne une responsabilité particulière au chrétien par rapport à la cité terrestre : ” Dieu a placé les chrétiens à un poste si élevé qu’il ne leur est pas permis de se dérober”.

TERTULLIEN: de CORONA [1]

“Ira-t-il au combat, le fils de la paix ?”

Tertullien, né à Carthage vers 165, reçut une éducation soignée dans une famille païenne aisée. Il eut l’occasion de poursuivre des études de droit à Rome. Peut-être est-ce le spectacle des martyrs chrétiens dans les arènes romaines qui lui fit abandonner sa vie agitée et provoqua sa conversion vers 195. Revenu en Afrique, il devint un des plus grands apologistes chrétiens. Sa “défense du christianisme” se révéla très efficace, lui-même étant d’origine païenne, très versé de culture latine et passé maître dans l’art oratoire.
L’ouvrage retenu ici (“de la couronne du soldat”) a été écrit vers 211 à un moment où Tertullien s’était déjà radicalisé (dès 204), devenant un chrétien de plus en plus puriste et intransigeant (tendance connue sous le nom de ” montanisme” à l’époque en Afrique latine). Il a été écrit dans un contexte de reprise de persécutions après la mort de l’empereur Septime Sévère. L’occasion du libelle est une situation concrète qui a peut-être soulevé une polémique publique à l’époque : le cas d’un soldat romain chrétien refusant de porter la couronne de laurier à l’occasion de la cérémonie du donativum (remise d’une gratification impériale) et ayant été jeté en prison pour cette raison. L’ouvrage se situe dans une polémique intra-chrétienne, une partie de l’opinion publique chrétienne estimant que cette attitude était inutilement provocatrice à l’égard des autorités romaines et que le chrétien pouvait bien se permettre quelques compromissions de pure forme à un rituel antique inoffensif. Ce n’était pas l’avis de Tertullien qui prend ici symboliquement la défense de ce soldat exemplaire. Il estime que le chrétien ne peut accepter aucune compromission par rapport à des cultes païens (qu’il ridiculise avec talent) et que le chrétien ne peut porter qu’une seule couronne : celle, incorruptible, que lui donnera le Christ (en réf. à 1Cor.9,25).
Dans ce contexte, il aborde (au § 11 de son libelle) la question en fait annexe dans sa démonstration : “la milice est-elle chose entièrement licite aux chrétiens ?”. S’appuyant sur la phrase d’évangile ” Quiconque se servira de l’épée, périra par l’épée” et sur les contradictions entre les missions ainsi que le mode de vie militaires et les valeurs chrétiennes, Tertullien se prononce par la négative en des phrases bien tournées. Pourtant il conclut en disant : “la milice est permise, d’accord, mais jusqu’à la couronne exclusivement”. C’est que Tertullien reste un grand partisan de l’empire romain. Dans son Apologétique, il souhaite même à l’empereur : “une maison sûre, des armées courageuses, un sénat fidèle, un peuple loyal, un monde paisible” (Apol. 30, 4). D’ailleurs, ce fils de centurion ne cesse d’utiliser des métaphores militaires, dont celle de martyre comme militia spirituelle. L’étiquette de pacifiste absolu qu’on a donné de lui n’est en tout cas pas correcte.

ORIGENE: EXHORTATION AU MARTYRE [2]

“Ne craignez pas ceux qui tuent le corps”

Origène, né à Alexandrie en 185, fut l’un des grands défenseurs du christianisme en ces premiers siècles. Son œuvre la plus célèbre à cet égard est le Contre Celse rédigé en 248, véritable réfutation, point par point, du Discours véritable que ce lettré, fonctionnaire zélé de l’Empire romain, avait écrit vers 180, méprisant cette nouvelle mythologie et reprochant aux chrétiens de se dérober aux tâches civiques et militaires qu’impliquait le maintien de la pax romana dont les chrétiens profitaient par ailleurs. Lui-même fin lettré, formé à la philosophie grecque, éminent néo-platonicien, Origène pouvait répondre avec pertinence et donner ainsi, indirectement, des bases philosophiques au christianisme. Par rapport à l’Empire, il fait valoir que les chrétiens ont toujours été, par principe, loyaux envers celui-ci et qu’ils lui sont même très utiles, peut-être pas par les armes, mais par la probité morale de ses membres dans tous les autres aspects de la vie civique. Il suggère que l’Empire cesse de persécuter les chrétiens et même qu’il se convertisse afin de se redonner une vigueur morale.

Plus intéressant encore pour notre propos est son exhortation au martyre, rédigé en 235 pendant la persécution de Maximin, puisqu’il est question d’une violence grave faite aux chrétiens. Il ne s’agit pas d’un ouvrage académique mais très personnel puisque le propre père d’Origène fut martyrisé en 202, obligeant Origène (âgé alors de 16 ans) à subvenir aux besoins de sa mère et de ses six frères. Cette fois ci encore, c’est un ami proche et son mécène qui est visé par la persécution. Origène lui-même en sera victime plus tard, à 70 ans, en 255. Il est remarquable de constater que, de cet ouvrage, il ne se dégage absolument aucune animosité par rapport à l’empire persécuteur. Toute l’argumentation est une argumentation ad intra, voulant dégager le sens du martyre chrétien par un recours abondant aux Ecritures. C’est d’ailleurs cette non-résistance qui va surprendre et finalement gêner l’Empire au point que plus tard, en 311, l’empereur Galère va suspendre toutes les persécutions… par désarroi.

Cette stratégie de la non-résistance volontaire a coûté très cher en vies humaines (plusieurs dizaines de milliers de personnes probablement). Elle est unique dans l’histoire jusqu’à cette époque par sa constance tout au long de deux siècles et par ce côté volontaire.

CYPRIEN DE CARTHAGE: EXHORTATION AU MARTYRE

“Je me suis-tu, est-ce que je me tairai toujours ?”

Cyprien est né probablement à Carthage, dans une famille riche et païenne, au début du 3° siècle, à l’époque où son compatriote Tertullien écrivait son ad Martyres [3] dans le contexte d’une persécution anti-chrétienne locale. Il reçut une éducation et une formation soignées (rhétorique, droit, philosophie) et devint professeur (rhéteur). Il ne rencontra le christianisme que sur le tard (au-delà de la quarantaine). Il fut séduit par les écrits bibliques et reçut le baptême en 248. Encore néophyte, il fut choisi comme évêque de sa ville à cause de sa conduite exemplaire et de ses qualités intellectuelles. A peine évêque, se déclencha la première grande persécution générale et systématique, celle de Dèce, dès 250. Cyprien préféra se cacher (ce qui lui fut âprement reproché par après). Il pilota ainsi son Eglise clandestinement pendant 15 ans. La persécution terminée, il fut contesté par une minorité de purs et durs (les Donatistes) pour avoir fui et pour avoir à présent une attitude trop laxiste envers les lapsi (ceux qui avaient renié) ou envers les traditores (ceux qui avaient livré les livres et objets sacrés aux persécuteurs). Ce fut la naissance de querelles entre chrétiens , non point encore sur des questions de dogme (les ” hérésies”) mais sur des questions disciplinaires (les ” schismes”).
La polémique n’était pas encore apaisée que survint une nouvelle vague de persécution générale et systématique, celle de Valérien en 257. Cette fois, Cyprien ne put se cacher. En résidence surveillée en attendant d’être décapité (en 258), il écrivit ce bref opuscule Exhortation au martyre consistant en une suite de 13 arguments suivis de leur illustration par les Ecritures. Comme dans l’opuscule d’Origène, on n’y trouve aucune allusion au persécuteur mais seulement un discours ad intra visant à expliquer la valeur chrétienne du martyre. Dans un autre ouvrage cependant (sur la vertu de patience, écrit en 256) [4], il fait bien allusion (§ 21 à 23) à une vengeance par rapport aux persécuteurs, celle-ci appartenant au Christ du Jugement Dernier mais non aux chrétiens eux-mêmes.

LACTANCE INSTITUTIONS DIVINES

“supprimer non l’adversaire, mais la rivalité même”

Né vers le milieu du troisième siècle en Afrique, il devint maître de rhétorique dans sa patrie. Appelé à ce titre à Nicomédie (en Turquie actuelle) par Dioclétien, il s’y convertit. Il dut fuir sous la persécution de ce même empereur en 305 mais lors de l’avènement de Constantin, il fut nommé précepteur de son fils. Son œuvre principale, les sept livres des Institutions divines, fut écrite de 304 à 313 [5]. Les livres 5 et 6 nous intéressent plus particulièrement puisqu’il y traite de philosophie morale, véritable synthèse de la morale antique et d’anthropologie chrétienne. Il est souvent considéré comme le Cicéron chrétien.
L’homme étant créé “image de Dieu”, nous devons traiter tout homme en frère. Nous somme tous “unis par une société de droit divin”. “Nous devons nous voir nous-mêmes dans les autres hommes. Sur base de cette aequalitas (égalité), il faut alors développer notre humanitas (humanité), notre conscience de la spécificité de l’homme (par rapport aux animaux par exemple) et la mettre en œuvre en aimant l’homme parce qu’il est homme, sans distinction, sans utilitas (sans instrumentaliser son prochain). “Tenir pour homme quiconque te prie parce qu’il te juge homme”. Là où les animaux se permettent de nuire aux autres pour se sauver, l’homme doit s’abstenir de nuire, même à son désavantage. A cet endroit de son raisonnement (livre 6), Lactance développe une véritable théorie de la non-violence, de la non-résistance au mal. Répondre au mal, c’est faire le mal; le subir, c’est le vaincre par le bien. Il s’agit exactement de briser le cercle de l’injustice par la résistance passive, qui est victoire du bien. Le sage, dit Lactance, cherche à supprimer non l’adversaire, ce qui ne peut se faire sans crime ni danger, mais la rivalité même, ce qui peut se faire dans l’intérêt et la justice [6]. Poursuivre l’injuste, c’est être vaincu; réprimer sa propre réaction, c’est triompher. Il faut garder partout et toujours l’innocentia (innocence) et donc supporter toute injustice subie en laissant à Dieu le soin de juger. Plus tard, Lactance ne manquera pas de se réjouir avec fracas “de la mort des persécuteurs” (titre d’un autre ouvrage écrit en 321) mais c’était bien là l’œuvre de Dieu et non une vengeance des chrétiens persécutés.

EUSEBE DE CESAREE
ELOGE DE CONSTANTIN [7]

“…investi de l’image de la royauté céleste”

Eusèbe fut un disciple indirect d’Origène dont il perpétua l’école (et sa bibliothèque) établie à Césarée de Palestine. Il en perpétua aussi une des grandes qualités: l’esprit de recherche. Il devint évêque de cette ville et continua ses travaux. Comme Origène, il s’intéressa à l’étude de la Bible mais on le connaît surtout comme premier historien de l’Eglise (son Histoire ecclésiastique est restée la principale source –fiable- de l’histoire du christianisme jusqu’en 324). Dans cette œuvre magistrale, il n’est pratiquement pas question de conceptions politiques. Mais à l’occasion du 30° anniversaire du règne de Constantin (en 335), Eusèbe prononça son éloge (ce court panégyrique s’appelle le Triakontaeterikos, dit aussi Eloge de Constantin). Il y exprime une véritable ” théologie de l’empereur”. Pour Eusèbe, comme pour toute la génération qui vécut le renversement complet de situation (des persécutions de Dioclétien à l’officialisation du christianisme), Constantin ne pouvait apparaître que comme l’empereur providentiel. Il est “l’ami du Logos”, “l’image de Dieu”, le lieu-tenant de Dieu sur terre. Sa monarchie apporte aux hommes l’image terrestre de la royauté céleste. De là, Eusèbe établit un lien entre monarchie et monothéisme : “au roi unique sur la terre correspond le Dieu unique au ciel”. La formule devait plaire à un empereur mais faisait servir le monothéisme à justifier un pouvoir unique et fort. Elle allait aussi faire servir l’empereur à l’unité de la foi, à laquelle correspondait l’unité de l’empire, et donc sa paix. Eusèbe attendait de l’empereur qu’il éradique les erreurs contre la vraie foi. Et en effet, différentes tendances commençaient à se faire sentir dans le christianisme (dont l’arianisme). L’empereur fut amené à intervenir dans ces questions religieuses (c’est lui qui réunit le concile de Nicée en 325) et ses successeurs en prirent la mauvaise habitude. Tous ces éléments caractérisent le césaro-papisme qui devint par la suite une source de conflits entre l’Etat et l’Eglise mais aussi une manière de régler les conflits religieux en y impliquant l’Etat et de régler les conflits d’Etat en y impliquant le religieux.

ATHANASE D’ALEXANDRIE CONTRA ARIANOS [8]

“je ne me lasse pas, je me réjouis au contraire de me défendre”

Patriarche d’Alexandrie (de 328 à 373), Athanase fut envoyé en exil à cinq reprises (totalisant 17 années), non pas à cause de persécutions (terminées à cette époque) mais à cause de querelles entre mouvances chrétiennes antagonistes, chacune essayant de faire prendre par l’empereur les mesures qui lui convenaient. Ainsi naissait un tout nouveau type de conflit, à peu près inconnu jusque là dans le monde antique, le conflit idéologique.
L’Evangile, surtout confronté à la logique grecque (voir les premiers ” apologistes”), laissait beaucoup de questions sans réponses du point de vue de la cohérence et de la systématisation théorique globale. Pressées de définir plus précisément le statut du Christ ou de l’Esprit saint par rapport à Dieu, les idées allaient en tous sens [9]. Athanase fut surtout en bute à l’arianisme. L’arianisme ne fut pas une querelle mineure. Plusieurs empereurs furent ariens (Constance, …Valens). C’est la forme arienne du christianisme qui fut adopté par les tribus germaniques (Wisigoths, Ostrogoths, Vandales, Burgondes, Suèves) et qui aurait pu l’emporter dans tout l’Occident. Athanase fut le défenseur infatigable, implacable, intransigeant des formules du Concile de Nicée (anti-arien, tenu en 325) et pas toujours avec les méthodes les plus évangéliques ! Ces querelles pourraient faire sourire mais elles contenaient un enjeu politique très sérieux. L’arianisme paraissait plus simple, plus rationnel que le christianisme de Nicée mais, avec son monothéisme absolu, il était aussi plus proche de l’idéologie impériale du monarque absolu! On peut comprendre que certains empereurs aient été tentés par l’arianisme. Mais, du point de vue de l’unité et de la paix de l’empire, voilà donc que des querelles intra-chrétiennes venaient les troubler. Et Athanase ne fit rien pour les apaiser. En forçant à peine, on pourrait dire que, pour Athanase, la paix était secondaire par rapport à la vérité (ou, plus modestement, à l’orthodoxie c-à-d, en l’occurrence, la conformité au formules du concile de Nicée). C’était un nouveau débat qui ne faisait que commencer.
On invoque souvent cette phrase d’Athanase pour illustrer son opinion sur la violence : ” Ainsi, il n’est pas permis de tuer mais, dans la guerre, tuer des ennemis est non seulement légitime mais digne de louange” [10]. Vérification faite, il ne s’agit que d’un exemple à propos d’autre chose et non d’une théorie sur la violence.

HILAIRE DE POITIERS
CONTRE CONSTANCE

“le combat de maintenant nous oppose à un persécuteur qui nous trompe, à un ennemi qui nous flatte”

Hilaire, originaire de l’Aquitaine (région très romanisée), devint évêque de Poitiers en 350 et prit la tête de la résistance contre l’arianisme en Gaule. Or l’arianisme avait les sympathies de l’empereur Constance II (fils et 2° successeur de Constantin en Occident). Hilaire fut exilé de 356 à 360 en Asie Mineure (où il apprit à encore mieux connaître l’arianisme oriental ainsi que la façon d’agir de Constance II en Orient). Fort de cette expérience, il écrivit d’une part son important traité de la Trinité mais aussi d’autre part, en 361, une sorte de ” lettre ouverte” Contre Constance [11]. La lettre ne s’adresse pas à Constance (qui venait de décéder) mais aux évêques et au chrétiens des Gaules pour les mettre en garde contre l’arianisme certes mais aussi contre le type de gouvernement impérial représenté par Constance. Il dénonce en fait le césaropapisme de cet empereur ! On se souvient qu’Eusèbe de Césarée venait à peine (en 335 dans son Eloge de Constantin) d’en faire la promotion comme modèle de relation entre l’Etat et l’Eglise. Du fait qu’entre-temps l’empereur avait changé et que celui-ci avait opté, par convenance personnelle, pour une forme jugée ” hérétique” de christianisme, il fallait faire machine arrière toute ! Hilaire est le premier à faire cette démarche. Il sera suivi par Ambroise de Milan. Le césaro-papisme sera ainsi arrêté net en Occident (du moins jusqu’à Charlemagne).
Hilaire reproche donc à Constance d’intervenir dans des questions de foi, de proposer et même d’imposer lui-même diverses formules de Credo en fonction de convenances politiques. Il met surtout ses collègues évêques en garde contre les procédés flatteurs et sournois que peut adopter un pouvoir impérial même chrétien. Au lieu d’une persécution franche, il s’agit pour Hilaire d’une persécution larvée et insidieuse qui rend plus difficile une réaction adéquate. On voit ici un effet pervers immédiat du césaropapisme : un conflit religieux interne devient une affaire d’Etat et tourne en conflit avec l’Etat pour la partie qui se sent lésée.

AMBROISE DE MILAN: DE OFFICIIS

“l’ Empereur est dans l’Eglise et non au-dessus de l’Eglise”

Ambroise naquit en 340 dans une noble famille romaine de Trêves et reçut une éducation soignée. Il fut gouverneur romain de Ligurie et d’Emilie avant d’être appelé à devenir évêque de Milan en 374. Il fut à l’origine de la conversion du futur Saint Augustin. Comme Hilaire, il dut lutter contre l’arianisme mais ne connut pas les déboires d’Hilaire. Il fut aussi un admirable administrateur de son diocèse, organisé sur le modèle d’une province civile.
Son ouvrage de Officiis [12] ne concerne ni le dogme, ni l’exégèse, ni la liturgie (sujets qui forment l’essentiel de son œuvre) mais les tâches pratiques de ses administrés (son clergé). Malgré le titre emprunté à Cicéron, nous ne sommes donc pas devant un traité de morale fondamentale. On ne trouvera pas chez Ambroise une théorie de l’Etat bien construite et réunie en un volume mais seulement des principes, clairs et explicites, mais disséminés dans diverses œuvres ou dans ses lettres. Il est pourtant incontournable sur le sujet [13] tant il a eu une action et un impact politique important. Il fut le tuteur de l’empereur Valentinien II, le conseiller proche de Gratien et put se permettre d’imposer une pénitence humiliante au grand Théodose lui-même !
De ses écrits et de son action, il résulte que, d’une part, Ambroise ne remet pas en cause le lien étroit entre l’Empire et l’Eglise mais que, d’autre part, il veut mettre des limites à l’ingérence de l’empereur et même inverser le rapport. C’est ainsi qu’il va dénier à l’empereur le pouvoir d’intervenir in causa religionis et lui dénier tout droit sur les biens d’Eglise. Il obtiendra même que les évêques ne soient justiciables que des évêques (et échappent donc à la justice civile). Il admettra que ” tous les hommes dans l’Empire sont soumis à l’Empire” mais en rappelant que ” l’Empereur est soumis à Dieu”, et que ” l’empereur est dans l’Eglise et non au-dessus de l’Eglise”. Il condamnera l’usage de la force par Théodose (à l’occasion d’une révolte populaire à Salonique durement réprimée) mais attendra que l’empereur use de la force contre le paganisme et l’hérésie (en arguant que la sécurité de l’empire ne sera procurée que par l’orthodoxie des empereurs). Très attaché à l’unité de l’Empire (tout autant que l’empereur), il estime qu’elle passe par l’unité de la foi (ce qui justifiera, par avance, la répression de tous les mouvements dissidents).

SAINT AUGUSTIN: LA CITE DE DIEU
“La paix, fruit de la justice”

Cette toute célèbre oeuvre de St Augustin [14] a été écrite à la suite de la chute de Rome sous les coups d’une peuplade barbare (les Wisigoths d’Alaric) en 410. Comment la capitale de l’empire le plus puissant et le mieux organisé du monde depuis plus d’un demi-millénaire avait-elle pu tomber? Les païens accusaient cette nouvelle religion qu’était le christianisme d’avoir sapé les valeurs de la religion romaine antique qui avait fait l’empire. Augustin entreprend de réfuter cette accusation en démontrant que ce furent plutôt la décadence des moeurs romaines et l’inanité de ses divinités qui en firent la ruine (livres 1 à 10). Mais il ne répond que bien faiblement à l’objection selon laquelle le christianisme a, de fait, été incapable de défendre l’Empire alors que cet Empire s’était christianisé depuis Constantin en 313 et qu’il offrait aux chrétiens, par la justice, l’ordre et la paix qu’il faisait régner, le cadre idéal ou du moins supérieur à tous les autres régimes politiques existant alors. On sent Augustin profondément affecté et inquiet de la chute de Rome. On voit à quel point les chrétiens, dès le 2° siècle d’ailleurs, avaient “adopté” l’Empire et ne souhaitaient certainement pas sa disparition. En guise de réponse, dans les douze livres suivant, Augustin va élargir le débat en introduisant la distinction entre la cité terrestre et la cité céleste. Les empires terrestres sont éphémères (même si l’empire romain a connu une exceptionnelle longévité) et ne sont que la condition de possibilité d’un autre type de royauté, celle de Dieu. L’Empire n’est pas une fin en soi. Peu importe qu’il passe. Ce qui importe, c’est qu’il remplisse sa mission d’être préparation à la cité céleste. A cette condition, toute forme de royaume terrestre est acceptable; aucune n’est, de toute façon, idéale, ni seule idéale.
Dans ce contexte, la justice, l’ordre et la paix que parvient à assurer la cité terrestre sont les critères essentiels (lire le livre 19). Ces valeurs sont cependant fragiles. Elles doivent donc être défendues. Ainsi, selon St Augustin, l’usage de la force se justifie pour la défense de la justice et de l’ordre sans lesquels aucune vie sociale n’est possible, le but étant bien sûr de retrouver la paix. Le concept de guerre juste, qu’Augustin reprend à Cicéron, n’est pas développé (il le sera plus tard, au 13°s. par St Thomas) mais il désigne grosso modo toute guerre dont le but est d’établir ou de rétablir la justice et non plus, comme pour Cicéron, toute guerre favorable à l’empire et conduite selon certaines règles. La non-violence qui serait favorable à une situation d’injustice ne serait pas un bien. La justice devient, chez Augustin, un critère supérieur à celui de non-violence. Le premier devoir de la cité terrestre est d’assurer la justice; la paix en sera le fruit.

Violence, guerre et paix dans l’Antiquité chrétienne (encart 1)

UN CONTEXTE DE PERSECUTION

1° siècle

30: Jésus est crucifié par l’autorité locale sous la pression de la population
36: Etienne est lapidé sans jugement par un groupe populaire
64: Persécution des chrétiens à Rome par l’empereur Néron; les apôtres Pierre (en 64) et Paul (en 67) en sont victimes
64-92: Rédaction des Evangiles
92: Persécution localisée en Asie Mineure, sous Domitien; Jean écrit son Apocalypse dans ce contexte

2° siècle

112: Lettre de Pline, gouverneur d’une province d’Asie Mineure, à l’empereur Trajan sur la conduite à tenir envers les chrétiens; pas de persécution systématique ni généralisée.
Avant 156, rédaction de la Lettre à Diognète par un anonyme.
156: Persécutions en Asie Mineure; sous Antonin martyre de Polycarpe à Smyrne.
160: Vagues de persécution, non systématiques, à Rome, sous Antonin martyre de Justin à Rome en 163. Celui-ci avait écrit peu avant son Apologie (du christianisme).
177: Persécutions en Gaule, en Italie et en Asie Mineure; sous Marc-Aurèle martyres de Lyon.
180: Persécutions en Afrique du Nord, à Carthage; sous Marc-Aurèle martyres de Scillium.
185: Persécutions à Rome et en Cappadoce; sous Commode martyre d’Apollonius à Rome

3°siècle

202: Edit de Septime-Sévère interdisant le prosélytisme juif et chrétien.
Persécutions non généralisées en Afrique du Nord et en Egypte martyre de Perpétue et Félicité en 203 à Carthage Tertullien (de Carthage) écrit ses opuscules ad Martyres (202) et de Corona (212).
211-249: Empereurs plutôt favorables au christianisme, sauf Maximin le Thrace: persécutions contre les chefs des églises.
Vers 235: martyre d’Hyppolite de Rome Origène d’Alexandrie écrit, en 235, son Exhortation au martyre; plus tard il écrira son apologie du christianisme intitulée contre Celse (249).
250: Déclenchement de la première persécution générale et systématique, sous Dèce.
257: Deuxième vague de persécution générale et systématique, sous Valérien; martyre de Cyprien à Carthage en 258. Peu avant, Cyprien avait écrit son Exhortation au martyre.
260: Edit de tolérance de Gallien, avec restitution des biens ecclésiastiques

4° siècle

303-305: Troisième et dernière grande persécution générale et systématique sous Dioclétien; prolongée jusqu’en 311 en Orient par Galère martyres de Sébastien, Maurice,…
311: Edit de tolérance de Galère, reconnaissant l’échec de la persécution.
313: Edit de Milan, promulgué par Constantin: abolition de toutes les mesures anti-chrétiennes.
321: Lactance, chrétien, précepteur du fils de Constantin, écrit son ouvrage de la mort des persécuteurs.
325: L’empereur réunit le Concile de Nicée qui condamnera l’arianisme intense activité d’Athanase d’Alexandrie.
335: Eusèbe de Césarée, premier historien chrétien, écrit son Eloge de Constantin.
337: Baptême et mort de Constantin
361: Edit de tolérance… des cultes païens (!) sous Julien dit l’Apostat. Hilaire de Poitiers écrit un pamphlet contre le précédent empereur: Contre Constance.
380: Le christianisme devient religion d’Etat sous Théodose
386: Ambroise de Milan écrit son de Officiis.
392: Edit d’abolition des cultes païens sous Théodose.
410: Chute de Rome.
420-427: Augustin d’Hippone écrit sa Cité de Dieu.

LES PERSECUTIONS, UN GRAND MALENTENDU?

L’Empire au 3° siècle était composé de dizaines de populations et donc de dizaines de religions différentes. Rome était habitué à les tolérer toutes. Pourquoi cet acharnement anti-chrétien alors que cette religion prêchait la loyauté envers l’Autorité institué et n’avait aucune prétention politique? Au contraire, respectueux de la hiérarchie, dociles, volontaires, endurants, organisés, solidaires, sensibles à des idéaux, perfectionnistes (toutes qualités très présentes dans la morale chrétienne), ces chrétiens auraient pu devenir dès le départ les meilleurs alliés de l’Empire (c’est l’argument d’Origène contre Celse).
En dehors des accusations grotesques (comme celle d’anthropophagie), une des accusations était celle de “haine du genre humain” (Tacite) à cause sans doute de l’anti-épicurisme chrétien et de son dolorisme. Une autre accusation était celle d’athéisme! (parce que le christianisme désacralisait en effet toute la vie matérielle et sociale au profit d’une seule divinité abstraite et transcendante). Le point d’achoppement a certainement été le refus obstiné des chrétiens de sacrifier aux divinités romaines traditionnelles et de s’associer au culte de l’empereur alors que, du point de vue romain, il s’agissait d’un geste purement formel d’allégeance civile. Les chrétiens n’avaient rien contre les “valeurs morales traditionnelles romaines” (très stoïciennes) mais n’en acceptaient pas la sacralisation. Ils ne pouvaient certainement pas accepter la divinisation d’un empereur mais n’étaient pas opposés au pouvoir monarchique réputé d’autorité divine.

Violence, guerre et paix dans l’Antiquité chrétienne (encart 2)

LA QUESTION DU SERVICE MILITAIRE CHEZ LES CHRETIENS DES PREMIERS SIECLES

Les tout premiers chrétiens n’ont pas été confronté à la question du service militaire. Il n’y avait pas d’armée régulière en Judée ni ailleurs en dehors de l’armée romaine et celle-ci n’était pas une armée de conscrits mais de volontaires.
Au tout début, au 1° s., les chrétiens n’étaient pas tentés d’opter pour le métier militaire dans l’armée romaine dans la mesure où Rome persécutait les chrétiens (persécutions de Néron, de Domitien,…).
Dès le 2°s. cependant, il y eut de nombreuses conversions au sein de l’armée, surtout dans les légions stationnées au Moyen-Orient, en Asie Mineure et en Afrique du Nord (légion Fulminate, légion thébaine, …) du fait de leur proximité avec ces zones de première évangélisation. Malgré quelques polémiques (Tertullien, Origène, Lactance, …), des chrétiens furent candidats légionnaires et furent enrôlés sans difficulté du côté romain (les persécutions au 2°s. ne furent plus que épisodiques ou locales).
Comment se posait le problème ?
– Sauf de la part de quelques auteurs (cités plus haut), il n’y eut jamais de problème de conscience majeur dans la mesure où l’armée romaine n’était pas une bande de pillards mais une armée disciplinée placée sous une autorité légitime et protégeant une “pax romana” appréciée de tous, particulièrement des chrétiens.
– Ce qui a fait problème, c’est le culte officiel aux divinités romaines, aux emblèmes militaires et à l’empereur. Aussi longtemps qu’il s’agissait seulement d’assiter passivement à ces cérémonies, les chrétiens n’ont pas fait de difficultés. Mais il en allait autrement si, à cause de leur grade ou par provocation, ils étaient obligés d’être officiants de ces cultes. On connaît le cas de martyrs célèbres pour leur refus (St Maurice et la légion thébaine par exemple).
– Un problème pratique se posait par rapport aux moeurs militaires qui ne correspondaient pas exactement à l’idéal de vie chaste et réservé des chrétiens. Mais ce n’était un problème que pour les esprits faibles. L’armée ne contraignait pas à suivre ces moeurs. A contrario, un certain nombre de valeurs militaires (la discipline, la rusticité de vie, l’esprit de sacrifice, la solidarité humaine, …) ont semblé des valeurs très positives du point de vue chrétien (voir la vie de St Martin).
De facto, au début du 4°s., à la veille de la conversion de Constantin, l’armée romaine comptait de très nombreux chrétiens. On pourrait presque dire que ce sont les militaires chrétiens qui ont christianisé l’empire.
A fortiori au 5°s., dans l’Empire christianisé, des chrétiens pouvaient considérer comme un devoir de défendre l’empire romain (parce que “bien ordonné”) contre les barbares. Le problème n’était plus le même devant des “barbares” eux-mêmes déjà christianisés (comme c’était le cas d’Alaric et des Wisigoths) ou prêts à l’être (comme ce fut le cas de Clovis et des Francs) .

Violence, guerre et paix dans l’Antiquité chrétienne (encart 3)

LA XII° LEGION ‘FULMINATA’ ou le miracle de la pluie

Plusieurs auteurs chrétiens de l’Antiquité (Apollinaire d’Hiérapolis, Eusèbe de Césarée, Tertullien, Grégoire de Nysse, Rufin d’Aquilée, Jérôme, Orose,…) ont interprété en miracle un événement qui est par ailleurs attesté par plusieurs auteurs profanes (Julius Capitolain, Thémistius, Claudien, Dion Cassius,…) et sculpté dans la colonne Antonine érigée à Rome en l’honneur de l’empereur Marc-Aurèle.
Au cours d’une bataille décisive en 173 contre une tribu germanique (les Quades) sur le Danube où l’armée romaine était accablée par la chaleur et exténuée par la soif, une pluie soudaine rafraîchit les troupes et leur redonna l’avantage.
Les auteurs chrétiens ont attribué ce renversement de situation au fait que les chrétiens parmi les légionnaires avaient prié Dieu pour obtenir de la pluie et qu’ils avaient été exaucés. Ce qui est historique, c’est le fait que cette légion, habituellement stationnée à Mélitène en Asie Mineure, région déjà largement christianisée au 2° s., comptait de nombreux chrétiens, dont certains nommément connus (Mercurius, Polyeucte, les quarante martyrs de Sébaste,…). Cette interprétation signifie aussi, indirectement, que ces premiers auteurs avaient déjà pris le parti de l’Empire Romain contre les barbares (germains en l’occurrence) alors que l’Empire allait encore persécuter les chrétiens (persécutions de Valérien mi 3°s. et de Dioclétien fin 3°s.). Selon certains de ces auteurs, l’empereur Marc-Aurèle aurait reconnu le fait comme miraculeux et attribuable aux chrétiens et aurait personnellement résolu de les protéger dorénavant.

LA LEGION THEBAINE et le martyr de St Maurice

Comme l’indique son nom, cette légion était originaire d’Egypte (Thèbes). Au 3°s., elle était déjà ancienne et célèbre. A cette époque, elle comptait aussi déjà de très nombreux chrétiens, sa région d’origine ou ses régions d’implantation (parties orientales de l’Empire) étant déjà largement christianisées. En 286, elle se retrouve dans le Valais (l’ancienne Agaune, l’actuelle St Maurice en Suisse) pour mater une révolte de Gaulois. L’armée romaine avait en effet coutume de mater les révoltes régionales par des contingents armés les plus étrangers possibles aux rebelles. Est-ce par refus de s’en prendre à d’autres chrétiens que la légion fut décimée? Cela supposerait que le Valais était déjà christianisé! Il semble plutôt que ce soit par refus de sacrifier à l’empereur, de le considérer comme un dieu, le motif habituel pour poursuivre les chrétiens. La légende dit que toute la légion a été décapitée (cela ferait 6.600 soldats!). Cela semble invraisemblable. Mais il est très possible que le contingent (une vexillatio par exemple) sous la conduite de Maurice l’ait été. Le cas est exemplatif du fait qu’il y avait déjà de nombreux chrétiens (volontaires) dans l’armée romaine au 3° siècle et qu’ils n’étaient habituellement pas inquiétés mais sporadiquement surpris par des vagues de persécutions.

Violence, guerre et paix dans l’Antiquité chrétienne (encart 4)

LE CESAROPAPISME

On désigne par là un régime politico-ecclésiastique où l’Etat s’affirme ouvertement chrétien (ou, par extension, confessionnel) et où l’Etat intervient dans les affaires religieuses et inversément. Quand le pouvoir politique était fort, il s’agissait surtout d’une soumission de l’Eglise à l’Etat. Il été inauguré par Constantin (à partir de 313) et est resté l’idéologie politique de l’Empire byzantin (et donc de l’Eglise orthodoxe). Il n’a été rompu en Russie que par la révolution bolchévique de 1917. En Occident, il a été immédiatement contrecarré par des évêques comme Hilaire et Ambroise qui s’opposèrent fermement à l’ingérence de l’Etat dans les affaires de l’Eglise. En Occident, vu la désintégration de l’Empire devant les invasions barbares, la situation devint plutôt celle de la soumission de l’Etat à l’Eglise. Mais à partir du moment où le pouvoir politique reprit de la consistance (avec Charlemagne au 9°s.), les papes eurent fort à faire pour se protéger ou reconquérir du pouvoir (Querelle des Investitures au 11°s. et Querelle du Sacerdoce et du Saint Empire au 12° et 13°s.). Au moment des mouvements de Réforme (16°s.), les Eglises protestantes renouèrent avec le césaropapisme là où les Princes locaux les favorisèrent. Du côté catholique également, certaines nations (l’Espagne du 16-17°s. par exemple) pratiquèrent le césaropapisme ou tentèrent de créer une Eglise-nationale avec la complicité du clergé (le gallicanisme en France par exemple) ou à l’initiative du Prince (le joséphisme en Autriche-Belgique). Pour mettre fin à ces conflits d’influence, La Révolution française (1789) énonça et mit en application le principe de la séparation de l’Eglise et de l’Etat.

MILITIA CHRISTI

En fait, quelque peu dans les évangiles mais surtout dans les épîtres de St Paul, un vocabulaire militaire est utilisé dans un sens métaphorique [15]. L’expression “soldat du Christ” s’y trouve textuellement [16]. Par contre, l’idée de “combat” n’y est pas métaphorique du tout. Il y a bien un combat à mener contre le Mal, le Malin, les “Puissances” [17]. Les martyres, victimes des soldats du royaume terrestre (Rome), pouvaient aisément s’assimiler et être assimilé à des ” soldats du Christ”, endurants jusqu’à la mort, promis au Royaume céleste. Le premier monachisme a été vécu comme un martyr non-sanglant mais constitué d’un don tout aussi entier de soi. L’inspiration militaire (discipline, privations, endurance, idéologie du combat,…) est toujours très présente dans les Règles monastiques pré-bénédictines (St. Martin!, Lérins, Pères du Jura, Règle du Maître, Colomban,…) et, bien sûr, dans celle de St Benoît. L’idéal chevaleresque est tout imprégné de militia christi. Les Croisades viendront encore en renforcer la place dans la vie de l’Eglise. Les Ordres Militaires et Hospitaliers qui en naîtront (Templiers, de Malte, du Saint Sépulchre,…) continueront à en être l’incarnation. Fondés par un militaire au 16°s., les Jésuites excellent par leur esprit d’organisation. Au 17° et 18°s., le thème de la militia christi est éclipsé au profit d’une spiritualité quiétiste et d’intériorité. Le thème reprendra du service au début du 20°s. avec le développement de la militance dans l’Action Catholique.

Violence, guerre et paix dans l’Antiquité chrétienne (encart 5)

LE CONCILE D’ARLES et le sort des objecteurs de conscience

A peine avait-il promulgué son édit de tolérance (en 313), que l’empereur Constantin fut amené à prendre des mesures pour résoudre des conflits entre chrétiens ! Alors qu’il n’était lui-même pas encore chrétien (il ne sera baptisé qu’en 337), il convoqua un concile à Arles (une des villes de résidence de l’empereur) en 314 afin de régler la question du donatisme (schisme né dans l’église d’Afrique en ce 4°s., d’une extrême rigueur envers ceux qui avaient failli pendant les persécutions). Quarante-quatre évêchés y étaient représentés (16 gaulois, 10 italiens, 8 africains, 6 espagnols, 3 bretons et 1 dalmate): il s’agit donc d’un concile ” occidental” (latin); le pape n’était pas présent mais représenté. Ce concile édicta neufs règles (canons) concernant les Donatistes et autres mesures pratiques d’organisation de l’Eglise (tenant en une page !)[18]. Très curieusement, hors de propos et sans explications ni commentaires, le canon trois stipule ceci:

De his agitur etiam qui arma proiciunt in pace,
placuit abstineri eos a communione.

(Au sujet de ceux qui abandonnent les armes en temps de paix, il est décidé de les écarter de la communion.)

Par rapport aux condamnations ou réserves sur le métier des armes de la part d’auteurs chrétiens antérieurs (comme Tertullien,…), on assiste ici à un revirement complet: l’objecteur de conscience –en temps de paix- se trouve excommunié!
A défaut d’explications et de commentaires, on ne sait s’il s’agit d’un dictat de l’empereur aux pères conciliaires ni quelle est l’extension du in pace (défense passive ou aussi préventive de la pax romana)?

(0) Trad. M.Bourlet, in Les pères dans la foi 83, éd. Migne, Paris, 2002; trad. H.-I. Marrou, in Sources chrétiennes 33b, Cerf, Paris, 1965.
(1) Trad. française par Genoude in Œuvres de Tertullien, vol.2, Vivès, Paris, 1852, pp.130-152.
(2) Trad.française dans Le martyre dans l’Antiquité chrétienne, éd. Migne, Paris, 1990, pp. 35-83.
(3) Trad. française dans Le martyre dans l’Antiquité chrétienne, coll. Les Pères dans la foi n°8, éd. Migne, Paris, 1990, pp.103-129.
(4) Texte latin et traduction française par Molager, J., dans la coll. Sources Chrétiennes n°291, éd. du Cerf, Paris, 1982.
(5) Texte latin et trad. française par Monat, P., dans la coll. Sources chrétiennes n°204, Cerf, Paris, 2000.
(6) DI 6, §18, 29, 552, 4-7 voir la très bonne synthèse de la morale de Lactance par Spanneut dans Tertullien et les premiers moralistes africains, Duculot – Lethielleux, Gembloux – Paris, 1969, chap.4.
(7) Texte grec avec trad. latine dans la Patrologie Grecque (éd. Migne), vol. n°20.
(8) Texte grec avec trad. latine dans la Patrologie Grecque (éd.Migne), vol. n° 26.
(9) Exemples : le Christ n’est qu’un prophète adopté par Dieu (adoptianisme) ; il n’avait qu’une apparence humaine (docétisme) ; il est inférieur Père (arianisme) ; il a deux natures distinctes (nestorianisme) ; sa nature divine est prééminente (monophysisme) ; etc…, etc…
(10) In ad Amunem, in Patrologie Grecque 26, col.1170 à 1179.
(11) Texte latin et trad. française par Rocher, A., dans la coll. Sources chrétiennes n°334, Cerf, Paris, 1987.
(12) Texte latin in PL 16, col.23-185 ; texte latin critique in CCSL 15, Brepols, Turnhout, 2000.
(13) Pour un aperçu complet, voir Palanque, St Ambroise et l’Empire romain, Paris, 1933.
(14) Multiples éditions et traductions. Trad. française de référence: de Labriolle, Garnier, Paris, 1941 ; comme étude: voir Combès, G., La doctrine politique de St Augustin, Plon, Paris, 1927.
(15) ” La vérité comme ceinture, la cuirasse de la justice, le bouclier de la foi, le casque du salut, le glaive de l’esprit, …” Eph. 6,10-17 ou 1Thess. 5,8; ” combattre le bon combat”: 1 Tim.1,18; etc…
(16) ” Prends ta part de souffrance comme un bon soldat du Christ …” 2 Tim.2,3.
(17) Voir aussi l’Apocalypse.
(18) Edité par Gaudemet, J., in Conciles gaulois du 4°s., coll. Sources chrétiennes n°241, éd. du Cerf, Paris, 1977.

Bibliografie

BIBLIOGRAPHIE

Sur l’histoire du Bas-Empire:

– LOT, F., La fin du monde antique et le début du Moyen-Age, coll. L’évolution de l’humanité, Albin Michel, Paris, 1927.
– PIGANIOL, L’Empire chrétien (325-395), PUF, Paris, 1947.
– STEIN, E., Histoire du Bas-Empire (284-476), 2 t., DDB, Paris, 1959.

Sur l’histoire du christianisme dans le Bas-Empire:

– FLICHE & MARTIN, Histoire de l’Eglise, Bloud & Gay, Paris
– t.2 : de la fin du 2°s. à la paix constantinienne, 1946.
– t.3 : de la paix constantinienne à la mort de Théodose, 1939.
– DANIELOU & MARROU (ss.dir.), Nouvelle histoire de l’Eglise, Seuil, Paris, 1963.
– t.1 : des origines à Grégoire le Grand.
– MAYEUR, PIETRI, VAUCHEZ, VENARD (ss.dir.), Histoire du christianisme,
– t.2 : Naissance d’une chrétienté (250-430), Desclée, Paris, 1995
– MESLIN, M., Le christianisme dans l’Empire romain, coll. SUP, PUF, Paris, 1970
– MESLIN & PALANQUE, Le christianisme antique, coll. U2, A. Colin, Paris, 1967

Sur des points particuliers d’histoire:

– ALLARD, P., La persécution de Dioclétien, 2 t., Lecoffre, Paris, 1890.
– GAUDEMET, J., Histoire du droit et des institutions de l’Eglise en Occident, t.3, L’Eglise dans l’Empire romain au 4° et 5° siècle, Sirey, Paris, 1958.
– HARNACK, Militia christi: die christlichen Religion und der Soldatenstand in den ersten drei Jahrhunderten, Tübingen, 1905, rééd. 1963.
– HORNUS, J-M., Evangile et labarum. Etude sur l’attitude du christianisme primitif devant les problèmes de l’Etat, de la guerre et de la violence, Genève, 1960.
– LECLERCQ, H., art. Fulminata (Legio XII°), in DACL 5,2 (1923), col. 2692-2703.
– MARAVAL, Les persécutions, coll. Bibl. d’histoire du christianisme n°30, Desclée, Paris, 1992.
– MOREAU, J., La persécution des chrétiens dans l’Empire romain, PUF, Paris, 1956.
-VACANDARD, E., La question du service militaire chez les chrétiens des premiers siècles, in Revue pratique d’Apologétique 20 (1906), pp. 337-349 & 399-413.

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