Au temps des saints protecteurs et intercesseurs : Pandémies et dévotions populaires dans nos contrées, au fil des siècles

 

 

La pandémie de Coronavirus qui frappe nos contrées en ce printemps 2020 n’a pas manqué de rappeler, à certains journalistes, l’épidémie de la « Grande Peste Noire » qui a frappé la quasi-totalité du monde occidental au milieu du 14ème siècle.  Aux mesures de confinement décrétées par les autorités tant gouvernementales qu’ecclésiastiques, nos ancêtres avaient pris l’habitude d’ajouter une dimension davantage spirituelle, un besoin d’intercession, que celui-ci soit ou non encouragé et encadré par le clergé de l’époque.   Si, antérieurement à la christianisation de nos régions, les premiers intercesseurs choisis l’étaient plutôt parmi les forces de la nature plus ou moins proches comme des sources ou des arbres remarquables (la version première de l’acide acétylsalicylique ou aspirine ne provenait-elle du saule et certains de nos villages ne conservent-ils encore de nos jours l’un ou l’autre « arbre bénit » et autres « arbre à clous » guérisseurs, parfois encore, comme à Han-sur-Lesse, en plein 20ème siècle usités … ?)

A partir du milieu du 7ème siècle, les missionnaires (souvent irlandais) à la base de la christianisation en profondeur de ce qui deviendra la Belgique n’auront de cesse de présenter de nouveaux intercesseurs : les saints dont ils développeront le culte et qui seront tangibles par la présence de leurs reliques dans les églises et chapelles nouvellement édifiées (et dans un premier temps communes à plusieurs lieux de peuplement), avant qu’à partir du 11ème siècle ne commencent à apparaître les statues de ces saints, avec les attributs permettant à tout un chacun, même illettré, de clairement pouvoir les identifier, s’y familiariser et invoquer leur protection (familiale ou professionnelle), mais aussi leur intercession en tant qu’êtres de chair et de sang portés sur les autels, vis-à-vis d’un Dieu qui transcende tout et auquel il pouvait paraître difficile de s’adresser directement.

Le développement démographique économique et commercial des 12ème et 13ème siècles va accélérer la remise en état et en service de voies de communication séculaires jusqu’alors quasi désertes et, par le biais des flux des êtres vivants et des marchandises venus d’ailleurs, confronter les habitants de nos villes et villages à des agressions microbiennes ou virales nouvelles, auxquelles ils n’étaient pas habitués et surtout contre lesquelles ils n’étaient pas immunisés.

Pour l’Europe Occidentale, la première de ces grandes pandémies, passée à la postérité sous le nom de « Grande Peste Noire », va se produire au milieu du 14ème siècle et se répandre via les puces et les rats (rats débarqués dans le port de Marseille en compagnie de marchandises venues d’Orient).

La réapparition régulière de ces épisodes hélas hyper-mortifères va dès lors amener les croyants et la foi populaire à se tourner vers plus haut, et ce, souvent, de manière régionale.   C’est la Très Sainte Vierge qui demeurera toujours la première personne vers qui se tourner dans l’adversité, ce que le Pape François n’a pas manqué de rappeler récemment en proposant la récitation individuelle du chapelet (confinement oblige) en la fête de l’Annonciation, le mercredi 25 mars 2020 à 21h00 (… « priez pour nous pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort » …).

D’autres saints étaient et sont encore également invoqués en cas d’épidémie, mais souvent de manière plus locale.   Ainsi, dans l’ordre alphabétique : St Adrien (officier romain martyrisé en 306) en Flandre et en Hainaut ; Ste Barbe (vierge martyrisée en Anatolie vers le milieu du 3ème siècle et par ailleurs patronne de nos artilleurs et de nos géniaques) ; St Donat (martyr romain du 2ème siècle, dont le culte fut relancé par les Jésuites au 17ème siècle) en Wallonie ; St Jean Discalceat (ou le Déchaussé, franciscain breton des 13ème-14ème siècle) en Bretagne ; St Joseph (l’époux de la Ste Vierge, mais dont le culte n’est pas antérieur au 12ème siècle), parce qu’il est, entre autres choses, le patron des agonisants et de la « bonne mort » ; St Roch (pèlerin montpelliérain du 14ème siècle et qui guérit de la peste), en Belgique, en France et en Italie ; St Sébastien (officier romain, originaire de Narbonne et martyrisé en 258) en Italie dès le 7ème siècle, parce que la peste y était perçue comme « des flèches qu’enverrait un Dieu en colère » (comme on pouvait le lire dans l’Illiade d’Homère).   Dans plusieurs pays, St Sébastien est le saint patron des fantassins (et notamment des Gardes Suisses du Vatican) et, depuis les années 1980, au sein de la communauté homosexuelle, il est également invoqué comme intercesseur dans le cadre de l’épidémie de Sida.

Pour ce qui est du territoire de notre pays aux temps dit modernes, soit à partir du 16ème siècle, c’est surtout St Roch qui, dans les paroisses, sera invoqué lors des épidémies mortifères successives : citons notamment, pour ces deux derniers siècles, le choléra (à l’origine du voûtement de la Senne à Bruxelles) en 1870 ou la Grippe Espagnole de 1918-1919.   En l’église St-Jacques sur Coudenberg, actuelle cathédrale du Diocèse aux Forces Armées, comme dans beaucoup d’autres églises, un autel et une confrérie dédiés à St Roch seront érigés dans les années 1667-1669.   Dans leurs mandements en temps d’épidémie, nos évêques d’autrefois (de même que certains papes dans leurs lettres apostoliques) ne manquaient pas d’évoquer les malheurs du temps et la nécessité d’ordonner l’organisation de processions et la récitation de litanies en l’honneur de Mgr St Roch.

Le vendredi 20 mars 2020, utilisant des techniques de communication davantage de notre temps (et sans prendre le temps de passer par l’imprimeur de l’archevêché), notre évêque aux Forces Armées et primat de Belgique, le cardinal De Kesel, dans une vidéo de 6 minutes diffusée sur « Youtube », a tenu à rappeler le besoin de solidarité dans un monde où la maladie ignore les frontières et, s’appuyant sur l’une des préfaces de ce temps de Carême, insisté sur les valeurs et la nécessité, tant de la prière que de l’entr’aide et de la fraternité en ces temps d’épreuve universelle.

Les progrès de la science et la fermeture obligée de nos églises de par l’interdiction de tout rassemblement susceptible de favoriser la propagation du coronavirus, n’empêchent nullement les démarches et exercices de piété individuels (comme la récitation du chapelet demandée par le Pape pour la fête de l’Annonciation, le mercredi 25 mars, ainsi, pour les aumôniers-prêtres, la célébration d’une messe privée à l’intention de tous.   Les aînés d’entre nous se souviendront peut-être (1952) de l’image d’un curé de paroisse, Don Camillo, une fois ses paroissiens à l’abri, retournant seul en barque dans son village inondé de Brescello, dans la plaine padane, pour y assurer la permanence de la prière et d’une relation privilégiée d’intercession vis-à-vis de celui qui nous transcendera toujours tous : « Notre Père qui es aux cieux … » ! 

Padre J-Fr. Van Caulaert

 

 

 

 

 

 

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