Violence, guerre et paix dans la Bible – Lévitique

Violence, guerre et paix dans la Bible – Une analyse des textes de Lévitique.

 

Selis Claude

Présentation générale:

Pour entrer dans le livre du Lévitique

Le livre du Lévitique est le troisième livre biblique, livre central du Pentateuque (ou  » Torah »), ensemble des cinq premiers livres constituant la référence fondamentale du judaïsme. Peu en faveur dans le christianisme (seulement deux lectures sur les trois années du cycle liturgique), il est par contre fort étudié dans le judaïsme pour qui il représente la  » Torah des prêtres ».

Son nom de  » Lévitique » (du nom de la tribu de Lévi traditionnellement vouée au culte) en indique bien l’allure sacerdotale (rituel des sacrifices : chap. 1-7, investiture des prêtres : chap. 8 – 10, règles de pureté : chap. 11 – 16, loi de sainteté : chap. 17 – 26, tarification des vœux et rachats : chap.27). La législation cultuelle en représente ainsi 85% du contenu, contre 15% pour les parties narratives. Législation considérée comme désuète et sans intérêt dans le christianisme (et de lecture rébarbative, il est vrai) le livre n’en contient pas moins des versets lumineux (essentiellement dans le chap.19) sur l’amour du prochain et de l’étranger ainsi que sur la justice sociale.

Assez homogène puisqu’il relève entièrement de la tradition sacerdotale et post-exilique dans sa rédaction essentielle et finale, le livre contient assurément des éléments archaïques (pré-exiliques) préservés par les rituels.

La violence n’est pas un thème majeur du Lévitique sauf indirectement par le caractère violent qu’implique la notion même de sacrifice religieux. S’agit-il de sacralisation de la violence ou, au contraire, de tentative de dérivation de la violence par sa ritualisation sous des formes codifiées et maîtrisées ? Ce sont ainsi des questions anthropologiques fondamentales qui sont soulevées sur le lien entre la violence et le sacré.

· Textes étudiés

Violence, guerre et paix dans la Bible – Lévitique

Textes étudiés :
(déroulez ou cliquez sur le texte choisi)

1. Lévitique 3, 1-17: Sacrifice de paix
2. Lévitique 16: Le bouc émissaire
3. Lévitique 19,17-18: L’amour du prochain
4. Lévitique 24,17-22: La loi du talion
5. Lévitique 26,6-8: Bénédiction de paix

Encarts documentaires:
1. Les sacrifices dans le Lévitique
2. Contexte historique du Lévitique
3. Violences, guerre et paix à l’époque du Lévitique
4. Réflexion d’anthropologie religieuse: le sacrifice et le sacré

LEVITIQUE 3,1 – 17:
SACRIFICE DE PAIX

 » les prêtres feront couler le sang »

Les traducteurs rendent bien souvent l’expression zebah shelamim par  » sacrifice de paix ». La racine shalom semble plaider en ce sens. Ce n’est pas vraiment faux mais il est un peu abusif (et trop mécanique) de traduire tout mot comportant cette racine par  » paix » [1]. L’expression est à définir en fonction des autres types de sacrifices (voir encart à ce sujet). Il ne s’agit en effet pas du tout d’un sacrifice de rétablissement de la paix après un conflit mais d’un  » sacrifice de communion » avec Dieu, supposant bien sûr harmonie dans la relation. Il est offert, spontanément, en action de grâce, indépendamment du calendrier liturgique, par et pour une famille.

Ce sacrifice consiste à immoler un animal, mâle ou femelle, petit ou gros bétail (les espèces sont précisées), sans défaut, selon un rite déterminé exécuté par l’offrant (sauf l’écoulement du sang qui doit être exécuté par des prêtres). Les parties estimées les plus riches de l’animal (les graisses) sont réservées à Dieu (en fait, elles sont brûlées) tandis que les viandes cuites sont consommées au moment même par les convives de ce repas sacré, signe de la communion avec la divinité. Le sang de l’animal ne peut être consommé. Il est répandu autour de l’autel.

Remarquons que, dans ce sacrifice de communion où le rituel est exécuté par l’offrant (non-prêtre), précisément le sang de l’animal doit être traité par un prêtre et ne peut être consommé. Même par rapport à un animal, il y a donc conscience de toucher à du sacré en touchant au sang, d’où le traitement particulier qui lui est réservé. Même si le sacrifice animalier est déjà une dérivation de sacrifices humains, il reste une conscience d’un danger de repasser de l’un à l’autre (de l’animal à l’humain) ou de repasser du rituel au réel (de la violence rituelle à la violence réelle). Le problème crucial semble bien être celui de la maîtrise de la violence par sa sacralisation.

LEVITIQUE 16:
LE BOUC EMISSAIRE

 » Et le bouc emportera sur lui
toutes leurs fautes en un lieu aride »

Ce chapitre décrit le rite particulier du Jour des Expiations (le Yom Kippur du calendrier juif moderne) ayant lieu annuellement le  » dixième jour du septième mois » (novembre du calendrier occidental moderne).
La cérémonie comporte deux rituels bien distincts : un rituel sacrificiel (sacrifice d’un taureau pour les péchés du prêtre et d’un bouc pour le péché du peuple) et un rite non-sacrificiel qui est celui du bouc émissaire. Celui-ci est choisi au hasard parmi deux boucs présentés par le peuple. L’un (celui  » pour Yahvé ») sera destiné à être immolé, l’autre (celui  » pour Azazel ») sera laissé vivant mais conduit dans un endroit désert après avoir été symboliquement chargé des péchés du peuple par une imposition des mains du prêtre.
Etant tirés au sort, les deux animaux sont donc réputés également purs puisque l’un ou l’autre aurait pu servir au sacrifice  » pour Yahvé ».
Qui est le  » Azazel » à qui est attribué l’autre ? L’on comprend spontanément qu’il s’agit d’une divinité –diabolique- du désert (ce lieu mythologiquement diabolique) mais il n’est même pas sûr qu’il s’agisse d’un nom propre. La LXX a compris  » qui écarte (les fléaux) ». Saint Jérôme, dans la Vulgate, a traduit par capro emissario (d’où vient le  » bouc émissaire », en français) qui se réfère au fait que ce bouc est  » envoyé » au désert.
Le prêtre lui impose les deux mains tout en confessant les péchés du peuple. Il ne s’agit donc pas du geste d’intronisation dans une fonction (de roi, de prophète ou de prêtre) qui ne se fait que d’une main mais d’un geste voulant signifier le transfert des fautes du peuple sur ce bouc. Il semble bien qu’il s’agisse cette fois des fautes volontaires et non involontaires.
Une personne préalablement désignée pour ce service doit alors conduire le bouc  » en un lieu aride » (trad. Bible de Jérusalem). Il ne s’agit pas en hébreu du mot habituel pour désigner un désert mais d’un terme très flou désignant un lieu  » coupé » du monde. Ce n’est donc peut-être pas un lieu physique qui est désigné mais un impératif social : l’expulsion en dehors du groupe social. Le rabbinisme ultérieur a compris  » lieu escarpé » et la pratique consistait à précipiter ce bouc du haut d’une falaise (traité Yoma de la Mishna).
La personne qui a conduit le bouc  » en dehors » est ensuite réintégrée dans le groupe social ( » dans le camp ») après une procédure de décontamination (changer de vêtement et prendre un bain).

* * *

Ce n’est pas pour rien que les sciences humaines (anthropologie, sociologie, psychologie) ont relu cette description comme un des mécanismes les plus profonds et les plus dangereux de la violence.
Il ne s’agit pas, en effet, ici d’une violence répondant à une violence (comme dans la  » loi du talion » qui tente de proportionner la vengeance au tort commis) ni d’une violence motivée par une volonté de conquête ou d’accaparement, ni d’une violence en réaction à une crainte fondée mais d’une violence  » gratuite », tombant sur une victime innocente. Le danger particulier est que la victime est aléatoire. Le sort peut tomber sur n’importe quel individu ou groupe. Mais, en fait, comme le révèle les constantes sociologiques, sera désigné celui qui présente des signes victimaires (tout type d' »anormalité » ou de spécificité) n’ayant rien à voir avec une quelconque culpabilité réelle mais bien avec d’obscures jalousies ou ressentiments dans le chef du groupe persécuteur.
Le but poursuivi est de se défaire d’une culpabilité. On dit concentrer sur cette victime le poids des fautes et, en la bannissant, on croit pouvoir se débarrasser de cette culpabilité et refaire la cohésion du groupe (perturbée par les fautes réelles commises en son sein). On croit donc régler un problème interne (celui de la culpabilité) en l’externalisant. Le procédé du transfert a, depuis, été minutieusement analysé par la psychanalyse. Le danger réside ici dans le caractère incontrôlable du sentiment de culpabilité et de son effet d’entraînement potentiellement illimité une fois que le mécanisme est lancé.
Le principe du bannissement présente également un danger particulier. En effet, au départ, ce type de sacrifice a l’air non-violent et est donc plus facilement acceptable par la conscience morale populaire. Mais le non-dit sur le sort final de la victime (le texte ne dit pas ce qu’il est advenu du bouc) laisse la porte ouverte au pire (et c’est ce qui arrive chaque fois !). Le principe étant l’expulsion, il est clair que l’expulsion la plus radicale est la mort (c’est d’ailleurs ce que confirme la pratique rabbinique, comme noté plus haut). Ce sacrifice apparemment non-violent se révèle en fait le plus violent et le plus pervers (comme l’a confirmé la shoa de 1940-45).
Le mérite de ce texte est d’avoir si clairement identifié ce mécanisme du bouc émissaire qui dépasse de loin toute considération d’une religion particulière mais touche aux tréfonds de l’ anthropologie. La question est de savoir si la ritualisation de ce mécanisme peut être efficace c’est-à-dire si l’exécution du rite peut éviter la mise en œuvre réelle du mécanisme. Le risque n’est-il pas d’inciter à cette conduite en la banalisant (par le caractère annuel du rite) et en la sacralisant (du moins dans son principe) ?
La théologie du Lévitique est, à cet égard, suspecte. Malgré que ce texte ait probablement été écrit (même s’il se réfère à une pratique plus ancienne) au 4°s., après Ezéchiel, sa théologie est en deçà d’une théologie de la responsabilité. Le caractère magique et collectif du procédé n’incite pas à ouvrir l’enquête pour déterminer qui est réellement responsable de quoi. D’autres textes bibliques (également antérieurs, comme les textes deutéronomiques) présentent des portes de sortie plus honorables au sentiment de culpabilité : les théologies de la miséricorde, par exemple…

LEVITIQUE 19, 17-18:
L’AMOUR DU PROCHAIN

 » Tu aimeras ton prochain comme toi-même »

Ce  » commandement » est celui par lequel l’évangile de Luc résume l’essentiel de la Loi dans une scène aussi brève que péremptoire.  » Que dois-je faire pour obtenir la vie éternelle ? » demande un légiste à Jésus. Jésus le renvoie à la lecture de la Loi. A la satisfaction de Jésus, le légiste la résume à ses deux préceptes essentiels : l’amour de Dieu et l’amour du prochain. Le premier précepte est une citation de Deutéronome 6,5 (contexte du Décalogue), le second de Lévitique 19,18 (notre passage).
Remarquons donc bien que ce commandement de l’amour du prochain n’est pas une création du Nouveau Testament mais bien un héritage de l’Ancien, net témoin de sa hauteur morale.
Ce  » commandement » se pose comme la conclusion d’une série de prescriptions à caractère social (v.11 à 18, ponctuées par des  » Je suis Yahwé »). Cela renforce encore sa portée puisqu’il relativise ainsi lui-même l’efficacité des interdits que multiplient les codes législatifs et indique l’ampleur du renversement nécessaire de mentalité.
Son contexte immédiat (v.17-18) situe l’amour comme antidote à la haine, à la vengeance et à la rancune. Le Lévitique a bien perçu combien ces sentiments sont à la racine d’actes de violence dans la société et combien ils sont profondément ancrés dans les cœurs. Il fait donc appel à cet autre sentiment le plus profondément ancré dans le cœur qu’est l’amour pour les surmonter. L’amour qui apparaît a priori comme le sentiment le plus privé qui soit devient ici le modèle social de relation, le seul possible si l’on veut atteindre les causes profondes de toutes les perturbations de la vie sociale.
 » Mais qui est mon prochain ? » demandait le légiste de l’évangile de Luc (Lc.10,29-37, parabole du bon Samaritain). La réponse était : celui (même inconnu, même ennemi) que tu croises sur ton chemin. Le Lévitique, environ quatre siècles auparavant, n’est pas en reste : quelques versets plus loin, il précise :  » l’étranger qui réside avec vous sera pour vous comme un compatriote et tu l’aimeras comme toi-même » (v.34).
Aimer l’autre comme soi-même ! Le Lévitique cautionne-t-il, encourage-t-il ainsi l’égoïsme ? Ce texte devrait nous aider à réapprendre la différence entre l’égoïsme (le réflexe de tout rapporter à soi, qui ne peut qu’engendrer des conflits) et l’amour de soi comme conscience de sa dignité. Si on a conscience de sa dignité, on ne se permettra pas des actes de bassesse. Si on a conscience de la dignité de l’autre, on les évitera d’autant plus. Corrélativement, si on a le sentiment d’être respecté, on ne sera pas tenté par des comportements haineux, vengeurs et rancuniers.

LEVITIQUE 24, 17-22:
LA LOI DU TALION

 » si quelqu’un frappe à mort
un homme quel qu’il soit … »

Nous avions déjà rencontré la fameuse  » loi du talion » dans le contexte du  » Code de l’Alliance » dans le livre de l’Exode (voir ce fascicule). Elle est ici reprise dans le cadre du  » Code de Sainteté » (Lév. 17 à 26), ensemble de prescriptions cultuelles et morales, du Lévitique.
Nous avions vu comment, par son principe de pure réciprocité, cette loi représentait un progrès par rapport au principe plus archaïque de vengeance non-limitée. Nous avions relevé que cette loi était certainement déjà caduque à l’époque de la rédaction de l’Exode (puisque le Décalogue –typiquement  » exodial »- représentait une réflexion morale beaucoup plus évoluée et que l’on sait que c’est un système d’amendes qui fonctionnait), a fortiori l’est-elle encore beaucoup plus à l’époque du Lévitique (cinq siècles plus tard). C’est un peu comme si, à chaque fois, on rappelait ses sources d’archives.
Source d’archive ou tentative (ou tentation ?) sacerdotale de retour à une  » justice » simple, expéditive et extrême ? Le contexte le laisse à penser. En effet, l’insertion de ce rappel de la loi du talion dans un récit de punition à la peine de mort par lapidation d’un blasphémateur montre que cette loi est utilisée comme argument pour justifier la mise à mort suivant le raisonnement : s’il est permis de sanctionner de mort celui qui a frappé à mort un humain, a fortiori est-il permis de sanctionner de mort celui qui a blasphémé contre Dieu.
La caste sacerdotale post-exilique était certainement soucieuse
d’efficacité dans la plus louable intention de resouder le peuple autour d’une discipline religieuse commune, cela passe-il nécessairement par de telles cruautés archaïques ? Le mécanisme semble toujours d’actualité.
Le côté positif – si l’on peut dire- est que cette  » justice » doit être appliquée impartialement à quiconque (v.22)  » qu’il soit étranger ou citoyen » (v.16 et 22). Le texte l’entend de la sanction mais nous pouvons l’entendre de la justice en général.

LEVITIQUE 26,6-8
BENEDICTION DE PAIX

 » Je mettrai la paix dans le pays »

Dans l’Antiquité biblique, les pactes d’alliances entre souverains se concluaient par une série de bénédictions (en cas de respect du pacte) et de malédictions (dans le cas contraire). Ces formules pouvaient n’être que des formules de politesse ou de menaces de pure forme ; elles pouvaient aussi exprimer les vœux les plus chers des peuples respectifs.
Dans notre livret du Lévitique, le pacte religieux mis au point par le clergé du second Temple est présenté sous la forme du pacte d’alliance politique ou militaire. Que Dieu soit considéré comme souverain n’étonnera pas mais que le peuple le soit étonne assurément. Indirectement, cela veut dire que le peuple, le croyant n’est pas considéré comme un être soumis mais comme un partenaire qui aurait la possibilité de refuser et dont, en tout cas, le consentement réfléchi est sollicité.
Deux promesses sont formulées en cas de respect du pacte (v.3 à 11). La première concerne la fécondité de la terre (v.4). La seconde lui est intimement liée et concerne la sécurité intérieure :  » vous mangerez votre pain à satiété et vous habiterez le pays en sécurité » (v.5). Divers aspects en sont explicités : l’éloignement des menaces naturelles (bêtes sauvages) et de la menace humaine ( » l’épée ne traversera pas votre pays »). En cas d’agression, le succès dans la poursuite des ennemis est garanti grâce à une démultiplication de l’efficacité des forces ( » cinq d’entre vous en poursuivront cent, cent en poursuivront dix mille ») (v.8). A noter qu’à l’époque du Lévitique (voir encart), il n’était pas question pour les Judéens de poursuivre un quelconque ennemi puisque toute la région était sous domination perse et qu’il n’était certainement pas question de s’en prendre aux Perses !
On aura d’ailleurs remarqué que ces versets ne font aucune allusion précise à une quelconque situation concrète. Ces images de supériorité militaire, fréquentes dans la Bible, relèvent clairement de la rhétorique conventionnelle.
Le chapitre des malédictions est bien plus fourni (v.14 à 46) et on y trouve, à l’inverse, des menaces de famine, de défaite militaire, d’insécurité, de maladie, de peur et d’angoisse. Alors que l’auteur n’a pas peur de présenter les menaces de Yahvé en termes très belliqueux (les mots  » épée » et  » ennemi » reviennent 14 fois en 30 versets !), il est intéressant de constater que ce sont la prospérité et la paix qui sont présentés comme les souverains biens.

Violence, guerre et paix dans la Bible – Lévitique (encart 1)

LES SACRIFICES DANS LE LEVITIQUE

Il est fait allusion à des sacrifices de multiples fois dans les divers livrets bibliques mais c’est le livre du Lévitique (le livre des prêtres) qui en traite de la manière la plus systématique et technique (chap. 1 à 7). Le livre distingue cinq types de sacrifice :

· l’holocauste (‘olah), où la victime (animale) est immolée et entièrement consumée, est sans doute un sacrifice très ancien en Israël. Il était célébré initialement en des circonstances exceptionnelles (une victoire, une manifestation de la présence de Dieu, …) comme action de grâce [1].

· l’oblation (minhah) consiste en une offrande végétale (farine, pâte cuite ou prémices de récolte et huile). Elle suppose une civilisation agraire et sédentaire (et non plus nomade). L’oblation est également une action de grâce, spontanée et personnelle, en différentes occasions. Elle a aussi fini par servir de rite introductif aux autres types de sacrifice. Sauf une part qui est brûlée (réservée à Dieu), le reste est consommé par le clergé.

· le sacrifice de communion (zebah shelamim) est un repas sacré de viande, célébré initialement en famille, après abattage rituel de l’animal et dont une part est réservée à Dieu (part brûlée). Il s’agit d’un geste voulant signifier la communion (relation harmonieuse) avec la divinité.

· le sacrifice de réparation (‘asham) est une sorte de compensation présentée à la divinité pour les transgressions individuelles et involontaires [2] de l’une des prescriptions de la Loi. On estimait sans doute qu’une faute même involontaire mais ayant créé objectivement un tort devait être réparée. La faute devait être confessée publiquement. La victime de ce sacrifice était nécessairement un bélier.

· le sacrifice d’expiation (hattat)  » pour les péchés » est en fait destiné à éliminer les fautes rituelles commises par inadvertance ou indirectement (tous les cas d’impureté rituelle). La victime (animale) variait en fonction du statut social du « coupable ». Le sang de la victime n’était répandu que selon des règles très strictes. Ce type de sacrifice était célébré chaque fois que nécessaire mais aussi dans diverses circonstances codifiées.

Violence, guerre et paix dans la Bible – Lévitique (encart 2)

CONTEXTE HISTORIQUE DU LEVITIQUE

Ce contexte coïncide avec l’époque de l’empire perse [3], soit de 539 (effondrement de l’empire néo-babylonien dont l’empire perse prend la relève) à 333 (bataille d’Issos où le Macédonien Alexandre le Grand l’emporta sur Darius III).
Après s’être emparé de Babylone en 539, Cyrus le Grand (539-530) permit aux Juifs qui avaient été déportés cinquante ans plutôt de revenir en Judée (en fait, un territoire très limité de 2.000 km² autour de Jérusalem) et de reconstruire le Temple.
Son successeur Cambyse (530-522) poursuivit l’extension de l’empire en conquérant l’Egypte.
Darius I° (522-486) connut les premiers revers dans l’extension de l’empire. Il échoua contre les Grecs à Marathon (490). C’est sous son règne que le nouveau Temple de Jérusalem fut inauguré (en 516).
Xerxès (486-465) échoua définitivement contre les Grecs à Salamine (480). Il dut faire face à des rébellions en Egypte en en Babylonie. En Israël, c’est l’époque du prophète Malachie. Les invectives du prophète dénote une décadence religieuse.
Artaxerxès I° (465-424) conclut la paix (dite  » de Kallias ») avec la Grèce (448). Il doit se préoccuper de la situation en Syrie et en Egypte. Néhémie, haut fonctionnaire (juif) d’Artaxerxès, est envoyé par deux fois en Palestine pour y assurer aux Perses une place forte (reconstruction des remparts de Jérusalem et installation d’une garnison perse). Il est également autorisé à prendre des mesures sociales et religieuses visant à désolidariser les Juifs de leurs voisins immédiats (interdiction de mariages mixtes, renforcement de l’identité nationale religieuse).
Darius II (424-404) renoue avec une politique grecque. Il prend parti pour Sparte contre Athènes dans la guerre du Péloponnèse.
Sous Artaxerxès II (404-358), l’Egypte retrouve son indépendance. Esdras (sans doute conseiller d’Artaxerxès pour les affaires juives) est autorisé à reprendre la politique religieuse de Néhémie et le fait énergiquement.
Artaxerxès III (357-338) doit faire face à de nombreuses révoltes en Asie Mineure et Syrie.
Darius III (338-333) est défait à la bataille d’Issos par la nouvelle puissance montante, l’empire macédonien d’Alexandre le Grand. C’est la fin de l’empire perse.

C’est dans ce contexte qu’est né le judaïsme à proprement parlé. Tout étant centré sur Jérusalem (par contrainte politique), ce fut donc la manière judéenne de vivre la religion ainsi que le clergé de Jérusalem qui s’imposèrent avec le cléricalisme et le purisme dont il était porteur.

Violence, guerre et paix dans la Bible – Lévitique (encart 3)

VIOLENCES, GUERRE ET PAIX A L’EPOQUE DU LEVITIQUE

L’époque (5°- 4°s.) a débuté par la prédominance absolue de la puissance perse. L’armée est nombreuse, bien équipée, bien organisée mais ne se distingue pas par sa finesse tactique. Après avoir conquis tout le Moyen-Orient, l’Egypte, l’Asie Mineure, ayant soumis tout le Caucase et abouti à l’Indus en passant par l’Afghanistan (la Sogdiane à l’époque), les Perses sont mis en échec par quelques poignées de Grecs à Marathon (490) et à Salamine (480) finissant en débâcle à Platées (479). Dès après les défaites contre les Grecs, les foyers de rébellions se multiplièrent (Egypte, Asie Mineure, Syrie).
Les Perses semblent avoir été extrêmement cruels envers ceux qui leur résistaient ou qui les trahissaient mais avoir été assez magnanimes envers les autres. Le but des campagnes d’expansion de l’empire n’était d’ailleurs pas la destruction des cités ni l’assimilation des populations mais la levée d’un impôt. Toutes les campagnes entraînaient cependant des pillages, principale ressource (et jeu) des soldats.
Les Juifs en Palestine ne bénéficiaient d’aucune autonomie politique ni militaire à cette époque. Pourtant la violence est très présente dans les livrets écrits ou revus à cette époque, ce qui est compréhensible par le climat ambiant. Mais, de la part d’Israël, il s’agissait de nostalgie ou de thèmes littéraires mais certainement pas de violence réelle.

Violence, guerre et paix dans la Bible – Lévitique (encart 4)

Réflexion d’anthropologie religieuse: Le sacrifice et le sacré

Se défaisant de toute lecture théologique, l’anthropologie religieuse [4] a tenté de reconstituer les origines et l’évolution du sacrifice dans les religions. Son origine serait à situer dans le cadre de l’expérience humaine de la chasse. L’homme primitif aurait remarqué que, suite à tel ou tel accident survenu à l’un des leurs en cours de chasse, celle-ci en était facilité car l’animal, occupé à déchiqueter sa proie, se laissait ainsi plus aisément surprendre. Le sacrifice humain serait cette victime accidentelle devenue tactique. Ne pouvant imaginer autre chose que des dieux prédateurs à l’image des animaux dont il avait peur, l’homme primitif aurait institué le sacrifice humain pour satisfaire la divinité, se la concilier, avoir prise sur elle, l’obliger (le rôle de la divinité pouvant être usurpé ou attribué au  » Grand Etre Social »). Petit à petit cependant, seraient apparus des mécanismes de substitution, offrant une victime animale plutôt qu’humaine puis même végétale et, en fin de parcours, monétaire, simplement symbolique ou morale.

En se défaisant de cette lecture assez vulgairement utilitariste, il y a moyen de développer une autre interprétation [5], tout aussi anthropologique. Etant né dans un monde déjà-là, l’homme aurait conscience d’une dette envers un Quelque-chose-qui-le-dépasse (une Transcendance). Dans les différentes occasions de son activité où l’homme réalise ce  » don » (progéniture, produit de la chasse, de la pêche, de la moisson, succès personnels, …), il aurait eu la gratitude d’en réserver une part pour la divinité (un des animaux tués, une part symbolique de la récolte, …). Le  » sacrifice » ne serait donc pas lui-même violent ; c’est la vie courante qui l’est (en principe dans les limites de besoins définis). L’essence du sacrifice est dans le  » rendu ». Ce réflexe religieux aurait été constitutif de la conscience morale et du lien social. En effet, transposé du niveau religieux au niveau social, il invite à se défaire du réflexe égoïste (tout garder pour soi) et à concevoir les relations sociales dans le registre de la gratitude (et non de  » droits » à défendre contre les autres, ces autres étant tous perçus comme des concurrents ou même comme des ennemis). Tout don de quelque chose de soi (d’un objet m’appartenant) étant, fondamentalement, de quelque manière, un don de soi, on serait passé, là où les enjeux s’avéraient cruciaux, au don total de soi pouvant aller jusqu’au sacrifice de sa vie. Cet engagement, volontaire et réfléchi, n’est ni castrateur ni morbide dans la mesure où il affirme ou vise un bien ou des valeurs morales supérieures. Un tel sacrifice n’est jamais exigible. Il en perdrait toute sa valeur. Là, il devient manipulation du religieux (ce dont le  » Grand Etre Social » ne s’est pas privé!).

(0) Etant donné surtout la connotation  » pacifiste » qu’a ce mot dans notre culture occidentale d’après la seconde Guerre Mondiale.
(1) Son usage à propos du génocide du peuple juif lors de la guerre de 1940 – 45 est impropre (et n’est d’ailleurs jamais utilisé dans ce sens par les Juifs eux-mêmes, qui parlent de shoah et non de ‘olah). Cet usage impropre n’est cependant pas mal intentionné. Il visait le caractère total du sacrifice.
(2) Les fautes intentionnelles envers un tiers étaient punies d’amendes ou de réparations matérielles ainsi que, symboliquement, par le rite du  » bouc émissaire ».
(3) C’est l’hypothèse reprise ici. Il est impossible d’entrer dans le détail du problème de la datation du Lévitique et du Codex Sacerdotal en général (ayant apporté de nombreux remaniements aux livres antérieurs à lui). Il est certain que le Lévitique contient des morceaux assez archaïques mais il semble que sa rédaction comme livret date bien d’après l’exil. Il devait être terminé à l’époque d’Esdras (plus précisément en 398) puisque le Pentateuque fut fixé et proclamé à ce moment.
(4) voir les œuvres de Durkheim, Mauss & Hubert, Frazer, Bataille … citées dans la bibliographie. En qualifiant d’avance le sacrifice religieux de  » superstition, aberration, gaspillage inutile, abîme d’ineptie, etc… » (tous qualificatifs employés par ces auteurs ), on peut avoir quelques doutes sur la validité et l’intérêt de leur  » recherche ». On est très étonné de voir à l’œuvre de tels préjugés dogmatiques anti-religieux chez des auteurs qui se targuent d’esprit  » scientifique ». Tout autant (ou pas plus !) étonné que cette vision se soit (ou ait été) imposée comme opinion publique commune.
(5) Inspirée ici de Gusdorf, G., L’expérience humaine du sacrifice, PUF, Paris, 1948.

Bibliographie

BIBLIOGRAPHIE:

* Sur le Lévitique en général:
– BUIS, P., Le Lévitique, Cahiers Evangile 116, Paris, 2001
– CAZELLES, Le Lévitique, Paris, 1958²
– ELLIGER, Leviticus, HAT 4, Tübingen, 1966
– GERSTENBERGER, Das 3.Buch Moses : Leviticus, ATD 6, Vandenhoeck-R, 1993
– NOTH, M., Das 3.Buch Moses : Leviticus, ATD 6, Vandenhoeck-R ,1978
– PETER-CONTESSE, Lévitique 1-16, AT 3a, Labor & Fides, Genève, 1993
– RENDTORFF, Leviticus, Neukirchen, BKAT 3, 1985
– WENHAM, The Book of Leviticus, Nicot, 1983

* Sur le sacrifice dans le Lévitique et dans l’AT:
– DAVIES, D., an Interpretation of Sacrifice in Leviticus, in ZAW 89(1977), 387-399
– de VAUX, Les sacrifices de l’AT, cahiers dl Revue Bibilique 1, Gabalda, Paris, 1964
– DUSSAUD, R., Le sacrifice en Israël et chez les Phéniciens, Paris, 1914
– GRAY, Sacrifice in the OT, its therory and practice, Oxford, 1925
– MARX, Alfred, Les sacrifices de l’AT, cahiers Evangile 111, Paris, 2000
– OESTERLEY, Sacrifices in Ancient Israël, London, 1937
– RINGGREN, Sacrifice in the Bible, London, 1962
– ROWLEY, the Meaning of the Sacrifice in the OT, in BJRL 33(1950)
– SABOURIN, art. Sacrifice in DBS 10, col.1483-1545
– SNAITH, Sacrifices in the OT, in VT 7(1957), 308-317

* Sur l’époque perse:
– ACKROYD, Israël under Babylon and Persia, Oxford Univ. Press, 1970
– BRIANT, Histoire de l’empire perse de Cyrus à Alexandre, Fayard, 1996
– DAVIES (éd.), The Cambridge History of Judaïsm, t.1 : the Persian Period, 1984
– GAUBERT, La Renaissance d’Israël (5°-3°s.av.J-C), Mame, 1987
– LAPERROUSAZ, La Palestine à l’époque perse, Cerf, 1994

* Sur le sacrifice en anthropologie religieuse:
– BATAILLE, La théorie de la religion, Tel-Gallimard, 1973
– BLOCH, La violence du religieux, O.Jacob, Paris, 1997
– CAILLOIS, L’homme et le sacré, NRF-Gallimard, 1950³
– DURKHEIM, Les formes élémentaires de la vie religieuse (1912), PUF, rééd.div.
– FRAZER, Le bouc émissaire (1913), in Le rameau d’or, vol 3, Laffont
– GIRARD, Le bouc émissaire, Grasset, 1982
– MACCOBY, L’exécuteur sacré, Cerf, 1999
– MAUSS et HUBERT, Essai sur la nature et les fonctions du sacrifice (1899), in Œuvres I, Minuit, 1985
– NEUSCH (éd.), Le sacrifice dans les religions, Beauchesne, 1994

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