Recension de livre – Just war and the common good. Ius ad bellum principles in twentieth Century papal Tought

Recension du livre: Brian, M., KANE, Just war and the common good. Ius ad bellum principles in twentieth Century papal Tought, International Scholars Publications, San Francisco, 1997, 224 p.

 

Selis Claude

Brian M. KANE, Just war and the common good. Ius ad bellum principles in twentieth Century papal Tought, International Scholars Publications, San Francisco, 1997, 224 p.[0]

Le titre de ce livre est un peu trompeur. Il s’agit bien d’une analyse de la pensée des pontifes du 20° siècle [1] à propos de la guerre en général (et en cela le livre est intéressant) mais non d’une discussion sur les principes de la guerre juste (qui est une théorie bien spécifique) ni sur le concept de bien commun (qui a lui aussi des fondements et une histoire précise dans la doctrine sociale de l’Eglise).
Le livre se présente comme l’étude de deux concepts: celui de juste cause (chap. 1 à 3) et d’autorité légitime (chap.4 à 6) [2]. D’emblée l’auteur avoue sa sympathie pour cette pensée pontificale. Il ne s’agit donc pas d’un livre polémique ni même critique.

Du début du siècle à la Guerre de 1914-18 (Pie X et Benoît XV), les papes manifestent encore une pensée très théocratique: les Etats ont entre autre pour mission de protéger et de promouvoir les valeurs chrétiennes. Les malheurs de l’époque sont interprétés comme le résultat de l’éloignement par rapport à ces valeurs dans la vie politique et civile. Ne contestant pas l’existence ni le droit de souveraineté des Etats-Nations, les papes admettent le droit à l’auto-défense comme cause juste de guerre.
Avec le pontificat de Pie XI (entre-deux guerres), on sent un mouvement de défiance par rapport aux Etats. Ce pape introduit le principe de subsidiarité [3] comme ligne politique prônée par l’Eglise. Celle-ci encouragera en effet la formation de corps intermédiaires ou corps associatifs constitués de citoyens volontaires prenant en charge tel ou tel secteur d’intérêt public (associations patronales, syndicales, hospitalières, scolaires, …). Dans certaines circonstances, les citoyens pourraient même invoquer un droit de résistance à un Etat qui s’écarterait de son mandat (qui n’est autre que de défendre le  » bien commun »).
Dans le contexte de la seconde Guerre Mondiale et, ensuite, de la formation du bloc communiste soviétique, Pie XII va se prononcer contre le principe de souveraineté nationale absolue. Celle-ci doit être limitée par la prise en considération des droits et des responsabilités des autres nations et des individus. Le droit de guerre, en principe limité à l’auto-défense, ne peut, en outre que viser à (re-) créer une ordre social international juste. Mais, même dans ce cadre, l’usage de moyens disproportionnés constituerait une agression. Pie XII va encourager la mise en place de structures internationales (l’ONU) susceptibles d’éviter les conflits ou de les résoudre diplomatiquement. Il encouragera aussi la mise au point d’instruments juridiques internationaux (charte des droits de l’homme) dans la mesure où ils s’inscrivent au moins dans le droit naturel (à défaut de référence à la  » loi divine »).
Considérant cet élément tout à fait nouveau que constitue l’arme atomique capable de détruire toute vie sur la planète, il estimera qu’ « il n’est plus raisonnable de penser que la guerre soit encore l’instrument adéquat pour réparer une injustice ». Cette phrase a été interprétée dans le sens que toute guerre serait illégitime puisque, devant le risque de déboucher sur une guerre nucléaire, le moyen serait de toute façon et absolument disproportionné. L’énoncé du pape est cependant beaucoup plus prudent.
La déclaration de Paul VI à l’ONU:  » Plus jamais la guerre » (1965) procède de la même angoisse devant les risques de la guerre nucléaire mais marque la confiance que ce pape voulait placer dans cette institution internationale et donc dans le règlement politique des conflits. Son encyclique Populorum Progressio (1967) invite, comme l’avait fait son prédécesseur, à s’engager résolument dans le développement des peuples, ce qui réduirait une cause structurelle essentielle de conflits.
Reprenant, d’une part, le personnalisme de Paul VI (développement de tous les hommes et de tout l’homme, dans toutes ses dimensions) comme fondement de son anthropologie, Jean-Paul II donne l’impression [4], d’autre part, de jouer la carte des peuples et des nations contre les Etats (ce fut en tout cas sa ligne politique par rapport aux pays d’Europe Centrale et de l’Est, contre l’URSS). Adoptant un profil plus  » agressif », Jean-Paul II estimera que la dignité des personnes et le bien commun doivent être activement défendu.

* * *

Une des faiblesses du livre est qu’il se base uniquement sur les écrits des papes (un des mérites du livre est, par contre, d’en donner un inventaire complet – [5]) et ne les confronte ni ne suggère la confrontation avec les actes politiques posés par la papauté.
Autre signe que l’auteur prend la doctrine de la  » guerre juste » dans un sens tout à fait général (la pensée des papes sur la guerre) et non dans son sens technique (doctrine précise élaborée par St Thomas d’Aquin au 13°s, approfondie au 16°s. ,…), c’est qu’il ne voit même pas et ne signale donc pas que cette doctrine a été abandonnée par le concile de Vatican II [6].
Par crainte peut-être de paraître critique, l’auteur souligne sans cesse la continuité dans la pensée pontificale, alors même que sa documentation (consciencieusement exposée) lui montrerait l’inverse [7].
Le fait d’avoir choisi le 20° siècle comme critère d’enquête ne m’a pas semblé très pertinent. Si le propos était d’exposer la doctrine sociale de l’Eglise sur les questions de guerre et de paix, il aurait été plus intéressant de se concentrer sur la période du concile et d’après-concile Vatican II. Si le propos était de faire de l’histoire, il fallait faire de l’histoire…

(0) La guerre juste et le bien commun, les principes du droit à la guerre dans la pensée des papes du 20° siècle.
(1) Pie X (1903), Benoît XV, Pie XI, Pie XII, Jean XXIII, Paul VI, Jean-Paul II (jusqu’en 1996).
(2) Ces termes n’étant pas pris dans leur technicité par rapport à la théorie de la guerre juste, je me permettrai dans ce compte-rendu de ne pas respecter cette présentation mais d’en profiter pour présenter un aperçu synthétique de la doctrine sociale des pontifes sur les questions de guerre, sur base du matériel du livre.
(3) Ne pas organiser à un échelon supérieur ce qui peut mieux l’être à un échelon inférieur
au niveau des droits individuels, Pie XII sera obligé de rappeler le droit à la liberté religieuse. Ce sera aussi l’occasion de préciser que seule est légitime une autorité qui respecte la liberté et la dignité des personnes et leur permette de poursuivre leur perfection.
Avec son encyclique Pacem in Terris (1963), Jean XXIII, au-delà de la paix comme arrangement politique, va faire porter le regard vers les conditions sociales seules susceptibles d’engendrer une paix véritable: la justice dans le monde.
(4) Cette interprétation n’est pas celle de l’auteur du livre mais bien la mienne (ndla).
(5) pp. 174 à 211.
(6) Il est d’ailleurs bien intéressant de constater que c’est la philosophie politique qui l’a reprise récemment dans le contexte du  » droit d’ingérence » humanitaire…
(7) Il n’est pourtant pas difficile de voir la différence entre le langage (théocratique) de Benoît XV et celui (se référant au  » droit naturel ») de Pie XII…

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