L’aumônier laïc en mission. Origine, tensions et challenges d’un concept renouvelé

Dans cet article l’auteur est à la recherche de l’origine du concept d’aumônier laïc. Dans un premier temps, deux documents issus de Vatican II permettent de saisir la portée initiale du concept. Dans un deuxième temps et en se basant à titre illustratif sur son expérience personnelle, l’auteur met en perspective ce que signifie effectivement le challenge d’être aumônier lors d’une mission.

 

Smit Wim

PARTIE 1: VATICAN II ET LA PASTORALE DES LAICS

Il n’est pas simple de parler de l’aumônier laïc en mission sans risquer de (re)tomber dans des banalités. Les aumôniers prêtres savent que leur mission pastorale est proche de celle de leurs collègues laïcs. D’un point de vue sacramentel et théologique il est encore relativement aisé de mettre les différences en perspective, mais celui qui analyse les choses avec les pieds effectivement posés sur le parade-ground des casernes ou dans la boue des mauvais chemins lors d’une mission à l’étranger réduit cet aspect théorique au strict minimum. La troupe elle ne  » craque » pas pour les spécificités théologiques, les priorités étant différentes. Ce fait deviendra de plus en plus clair tout au long de mon exposé.
J’essayerai donc de ne pas (trop) enfoncer de portes ouvertes et mon exposé visera au contraire à faire part d’une expérience personnelle matinée de théologie. De plus mon propos visera à mettre en perspective une série de données (éparses) issues du journal que j’ai tenu lors de mes missions de 2005-2006. Cependant, la base de ma communication s’articulera autour de la définition de la fonction des laïcs dans pastorale, ce que les textes conciliaires nous en disent et comment la chose est effectivement vécue en Belgique.

DE LUMEN GENTIUM A L’ACCEPTATION DES AUMONIERS LAICS AU SEIN DES FORCES ARMEES

Durant la cinquième session du Concile Vatican II (novembre 1964) la Constitution dogmatique de l’Eglise, Lumen Gentium (lumière des peuples), fut acceptée. C’est encore à l’heure actuelle l’un des Constitutions de référence les plus consultées. Ce fait n’est pas le résultat du hasard, car ce document traite des fondements de l’Eglise, de son organisation et de son fonctionnement. Les deux premiers chapitres (Le mystère de l’Eglise et le Peuple de Dieu) traitent des fondement théologiques à la base de l’édification de l’Eglise, le troisième aborde la structure hiérarchique avec les évêques, les prêtres et les diacres, tandis que le quatrième chapitre, le fait mérite d’être souligné, est consacré à l’apostolat des laïques.
Il peut être utile de resituer encore une fois le contexte du concile de Vatican II, car ceci met en perspective l’esprit de l’époque et les circonstances qui sont à la base du concile. Les années 60 sont par excellence celles des changements et des réformes durant le vingtième siècle. Un vent de réformes soufflait, soucis de renouveau mais plus encore réponse à des demandes spécifiques contemporaines et anciennes. L’Eglise avait identifié les changements nécessaires : il devenait ainsi de moins en moins évident que la messe hebdomadaire restait une donnée incontournable. Ce phénomène qui était spécifique à l’Eglise occidentale, nécessitait ou exigeait même une plus grande ouverture vers les fidèles. Cette ouverture concernait les domaines théologiques et liturgiques; (Jean XXIII: aggiornamento – littéralement – mettre au goût du jour = moderniser) mais visait aussi à contrer l’hémorragie des vocations qui n’en était qu’à ses débuts (encore une fois principalement en Europe). Il s’agissait donc bien de questions fondamentales pour le devenir de l’Eglise. Une tâche immense que le Pape Jean XXIII prit à bras le corps des le début de son pontificat (1958). Dans les faits le concile débutera effectivement en 1962 et Jean XXIII s’éteindra en 1963. Cependant, les balises sont placées et durant tout le concile son esprit d’ouverture et de renouveau soufflera effectivement sur les travaux.
Si le nombre de prêtres est en diminution constante, que se passe t’il alors avec les célébrations liturgiques, ne sont-elles pas menacées, quel est le statut exact des laïcs, dans quelle mesure et jusqu’ou peuvent-ils prendre des responsabilités sans mettre en danger la fonction de prêtre et l’unicité des sacrements?
A côté de Lumen Gentium le décret Apostolicam actuositatem (étonnamment très peu connu dans le public) fut également consacré à cette problématique. Ce décret, publié en 1965, était spécifiquement consacré à l’apostolat des laïques. Dans les pages qui suivent je vais présenter brièvement les deux documents, les comparer afin de placer la prise en compte progressive de l’aumônier laïque dans son concept le plus large.

1.1. Lumen Gentium

Déjà dans l’introduction du Chapitre IV (nr° 30) l’importance et l’apport des laïques au  » bien être » de l’Eglise toute entière est souligné. L’accent est mis sur une collaboration étroite visant à décharger les prêtres de l’intégrale de la mission de salut envers les fidèles. Les services et l’apport des laïques dans la prise en compte du salut doit être reconnue et encouragée. Les prêtres gardent cependant un rôle « d’orientation ». Le rôle exact des laïcs est détaillé par après en détail et s’articule de la manière suivante:

 » De par leur vocation propre, il revient aux laïcs de chercher le royaume de Dieu en administrant les choses temporelles et en les ordonnant selon Dieu. Ceux-ci vivent dans le siècle, engagés dans toutes et chacune des allures du monde, plongés dans l’ambiance où se meuvent la vie de famille et la vie sociale dont leur existence est comme tissée. C’est là qu’ils sont appelés par Dieu, jouant ainsi le rôle qui leur est propre et guidés par l’esprit évangélique, à travailler comme de l’intérieur, à la manière d’un ferment, à la sanctification du monde et à manifester ainsi le Christ aux autres, principalement par le témoignage de leur propre vie, par le rayonnement de leur foi, de leur espérance et de leur charité. » (nr° 31)

Ici l’on retrouve mentionné, à mon avis, l’unicité et l’intégration effective de la mission des laïcs au sein de l’Eglise: les deux pieds fermement posés dans la réalité, intégrés dans le monde contemporain mais également chargés d’une mission spécifique d’annonce de la parole sacrée. Cet article se comprend donc spécifiquement une mise en perspective effective par rapport à la question récurrente de la neutralité quotidienne. Une neutralité qui doit, dit-on, viser avant tout à séparer nettement les sphères publiques et privées. Cet article postule effectivement l’inverse : les deux aspects ne peuvent et ne doivent être scindés dans la vie d’un vrai croyant. Celui-ci, inspiré par l’Esprit Saint ne peut et ne doit cacher sa foi par rapport aux défis du quotidien. Dans la logique de cette inspiration double, les laïcs se doivent d’être  » le sel de la terre » (nr° 33) et  » le ferment » (nr° 31). Ces aspects formant la charge supplémentaire qui est confiée aux laïcs.
Au sein de l’Eglise, ces notions d’enthousiasme et de prise en compte de l’aspect émotionnel ne signifient bien entendu pas qu’il n’est plus question de spécificités et de hiérarchie. De par le fait de leur ministère les prêtres et les diacres se distinguent du reste de la communauté de l’Eglise. Ce n’est donc pas sans raisons que la lettre de Paul aux Romains est mentionnée à ce propos :

 » Car, de même que notre corps en son unité possède plus d’un membre et que ces membres n’ont pas tous la même fonction, ainsi nous, à plusieurs, nous ne formons qu’un seul corps dans le Christ, étant, chacun pour sa part, membres les uns des autres. » (Rom. 12,4-5)

C’est la reconnaissance implicite de cette différence qui justifie que chacun prend en charge des missions spécifiques. Il y a donc une distinction de fait entre ceux qui sont consacrés et les autres, mais ceci en pleine conscience du fait que les deux sont complémentaires. La question qui en toute logique y est liée est celle du type de relations entre les deux et plus spécifiquement au niveau hiérarchique. Cette question n’est pas occultée et nous trouvons la réponse au nr° 37:

 » Selon la science, la compétence et l’autorité dont ils jouissent, ils peuvent, et même parfois ils doivent donner leur avis en ce qui concerne le bien de l’Eglise (7). Si tel est le cas, qu’on procède par le moyen des organes institués à cette fin par l’Eglise et toujours dans le respect de la vérité, avec courage et prudence, et avec le respect et la charité qui sont dus à ceux qui, en raison de leur fonction sacrée, représentent le Christ. »

Les laïcs se voient donc confier la tâche mais aussi le droit d’exprimer, la ou les intérêts de l’Eglise l’exigent, leur opinion dans le domaine des questions religieuses. Ceci concerne tant l’Eglise en tant que structure interne que le monde extérieur. Il existe donc une certaine liberté de pensée résultant, comme nous le constaterons ensuite, d’une  » collaboration confidentielle » entre prêtre et laïc. Ceci ne doit cependant nullement engendrer un doute sur la nature du statut du prêtre consacré par rapport à celui du laïc. Ce dernier devant bien entendu, sans ambiguïtés, rester obéissant:

 » Les laïcs, comme tous les fidèles, accueilleront avec promptitude et dans l’obéissance chrétienne ce que les pasteurs, représentants du Christ, auront décidé en tant que docteurs et chefs de l’Eglise; ils suivront alors l’exemple du Christ qui, par son obéissance jusqu’à la mort, a ouvert à tous les hommes la voie bienheureuse de la liberté des fils de Dieu. »

Le  » devoir » de parole n’est donc nullement absolu et il peut y être mis fin en rappelant si nécessaire l’autorité du prêtre et l’obéissance que le laïc doit lui témoigner.
Ces considérations nous amènent finalement à l’article 35, qui constitue le centre de mon propos et ou nous lisons:

 » Les laïcs donc, même lorsqu’ils sont accaparés par des soucis temporels, peuvent et doivent exercer une action importante eu égard à l’évangélisation du monde. Certains d’entre eux, à défaut de ministres sacrés ou lorsque ceux-ci en sont empêchés par la persécution, emplissent une suppléance, selon leurs pouvoirs, en certains offices sacrés. »

Une citation un tant soit peux particulière en ce sens qu’elle laisse effectivement le champ libre à une grande liberté d’interprétation. S’agit-il d’un manque ou d’une absence totale de prêtres dans la pratique; et de quelles fonctions sanctifiées parle t’on exactement sachant que  » certaines » d’entre elles peuvent être remplies par des laïcs ? Il me semble justement que dans ce  » vide », un espace est créé afin de ne pas limiter l’engagement des laïcs à des fonctions comme la pastorale des malades ou des laïcs en général. Non, il semble bien qu’il faille aller plus en avant dans des domaines pour lesquels les autorités religieuses ont également donné leur autorisation. Deux sacrements, le baptême et l’onction des malades pourraient être accessibles à des laïcs, sachant qu’il s’agit de domaines ou ils sont engagés journellement dans la pastorale.

1.2. Apostolicam actuositatem

Ceci nous amène au décret Apostolicam actuositatem et à la question de la définition qu’il donne de l’apostolat des laïcs et de sa mise en œuvre. Le document part d’emblée de la constatation que dans la  » situation actuelle » un engagement plus important et plus intensif est attendu de leur part.

 » Cet apostolat devient d’autant plus urgent que s’est affirmée, comme c’est normal, l’autonomie de nombreux secteurs de la vie humaine, entraînant parfois un certain délaissement de l’ordre moral et religieux, au grand péril de la vie chrétienne. Il faut ajouter qu’en de nombreuses régions les prêtres sont très peu nombreux ou parfois privés de la liberté indispensable à leur ministère, de sorte que, sans le travail des laïcs, l’Eglise et son action ne pourraient que difficilement être présentes. » (nr° 1)

En d’autres termes: de nouveaux défis nécessitent une nouvelle structure. L’exigence de plus en plus importante du travail pastoral pour les laïcs leur demande, à l’image de Jésus, de ne pas être matérialistes, d’accepter les difficultés et de ne pas rechercher la gloire et d’être prêt si nécessaire à tout abandonner jusqu’à accepter la persécution au nom de la justice. (nr° 4) Cependant, la spiritualité des laïcs peut et doit avoir un caractère particulier en fonction des spécificités de l’existence. Mais en toutes circonstances l’accent doit être mis sur la compétence professionnelle, l’esprit de famille et la citoyenneté. Les vertus sociales comme la droiture, l’honnêteté, l’humanité et la force de caractère sont centrales. Ceci doit aider le laïc dans les fonctions qui lui sont confiées et qui peuvent se synthétiser par l’inculturation des valeurs chrétiennes dans le milieu où il se trouve (nr° 13). En d’autres termes: que soit par l’image de la foi vécue que parle travail pastoral faire connaitre et diffuser le message de l’évangile.
La question reste cependant de savoir dans quelle mesure tout ceci a un impact précis sur le partage des tâches entre les  » consacrés et les autres », ainsi que de la définition de son contenu. Nous trouvons un début de réponse dans l’article 6 :

 » Par son apostolat l’Eglise et tous ses membres doivent donc d’abord annoncer au monde le message du Christ par leurs paroles et leurs actes et lui communiquer sa grâce. Cela s’accomplit principalement par le ministère de la parole et des sacrements. Confié spécialement au clergé, il comporte pour les laïcs un rôle propre de grande importance qui fait d’eux les « coopérateurs de la vérité » (III Jn 8). Dans ce domaine surtout l’apostolat des laïcs et le ministère pastoral se complètent mutuellement. »

Ici également, à l’image de ce que nous trouvons dans Lumen Gentium, il nous faut constater quelques zones  » grises » dans la détermination du contenu des tâches à remplir par les laïcs et leur portée effective. En effet, que signifie par exemple exactement que les laïcs ont à remplir une fonction spécifique dans l’acte sacramentaire? L’on peut supposer qu’il s’agit ici de moments catéchétiques ou éventuellement de l’assistance donnée au prêtre lors de ces moments. Cependant ce côté spécifique n’est pas détaillé d’avantage. L’importance accordé aux laïcs est donc primordiale, sachant qu’ils ont un rôle important dans le travail et la vie de l’Eglise et que leur influence sur le travail des prêtres n’est pas à sous estimer:

 » Participant à la fonction du Christ Prêtre, Prophète et Roi, les laïcs ont leur part active dans la vie et l’action de l’Eglise. Dans les communautés ecclésiales, leur action est si nécessaire que sans elle l’apostolat des Pasteurs ne peut, la plupart du temps, obtenir son plein effet. A l’image des hommes et des femmes qui aidaient Paul dans l’annonce de l’Evangile (cf. Act. XVIII, 18.26; Rom. XVI, 3) les laïcs qui ont vraiment l’esprit apostolique viennent, en effet, en aide à leurs frères, et réconfortent aussi bien les pasteurs que les autres membres du peuple fidèle. » (nr° 10)

Les laïcs qui se mettent d’une manière permanente ou temporaire au service de l’Eglise doivent, dans l’esprit du décret, être accueillis et récompensés pour leur engagement. Dans l’article 22 nous lisons :

 » Les pasteurs accueilleront ces laïcs avec joie et avec reconnaissance; ils veilleront à ce que leur condition satisfasse aussi parfaitement que possible aux exigences de la justice, de l’équité et de la charité, surtout en ce qui concerne les ressources nécessaires à leur vie et à celle de leur famille; ils feront en sorte que ces laïcs disposent des moyens nécessaires de formation, de soutien et de stimulant spirituel. »

Dans cet article mention est donc faite d’une charge spécifique pour les laïques justifiant une rétribution. Il leur est donc possible d’assister les prêtres et les évêques, dans les limites qui leur sont confiées par l’Eglise. Cet engagement profond peut et doit, prendre la forme d’un engagement professionnel au profit de l’Eglise. C’est donc ici que se trouvent les racines effectives de l’engagement d’un aumônier laïc.
Dans l’article 24 il est également expressément demandé à la hiérarchie de l’Eglise de ne pas uniquement l’accepter mais aussi de le promouvoir et de lui donner le soutien moral nécessaire. Il doit cependant être clair que dans toutes les tâches qu’ils acceptent, les laïcs restent entièrement subordonnés à l’autorité religieuse. Les sacrements restent donc une responsabilité spécifique des prêtres et les laïcs doivent s’en remettre dans l’exercice de leurs fonctions à l’autorité religieuse.

1.3. Conclusion partielle

Tant dans Lumen Gentium que dans Apostolicam actuositatem les fonctions possibles dans la pastorale des laïcs sont mises en avant. Cette reconnaissance mène logiquement à la nécessité d’une définition plus précise des fonctions des laïcs dans la pastorale. Aucune limite effective du contenu n’étant donnée dans les deux documents. Ainsi il reste des zones d’ombres en ce qui concerne le rapport des laïcs aux sacrements. Dans Apostolicam actuositatem il est bien souligné que les laïcs ont un rôle important à jouer dans l’attribution des sacrements. La teneur exacte de cette intervention reste cependant imprécise, sachant que l’acte sacramentaire en lui même est présenté comme étant du ressort du seul prêtre.

Si il est logique qu’il en soit ainsi dans des situations normales, quid des situations d’urgence? Que faire si il n’y a pas assez, ou pire, pas de prêtres présent dans des situations d’urgence (tel que l’onction des malades), mais qu’un laïc soit disponible? Ce sont des questions qui restent sans réponses et qui ont conduit depuis à des situations de conflits au sein de l’Eglise. Il s’agit encore effectivement d’un problème typiquement occidental mais à terme il serait utile qu’une ouverture plus grande de l’Eglise donne des réponses précises à cette problématique. J’en profite également pour rappeler que de mon point de vue deux sacrements, le baptême et l’onction des malades, devraient pouvoir être donnés par des laïcs afin de rendre la pratique  » quotidienne » plus viable.

Ceci m’amène donc effectivement à prendre la mesure des missions effectives d’un aumônier laïc auprès des Forces Armées. Si l’on peut parler d’une convergence de fait entre prêtres et laïcs sur le  » terrain », il est certain que le laïc  » perçoit » rapidement les limites de sa fonction. Qu’il s’agisse de l’organisation d’une liturgie, d’un baptême, d’un mariage ou d’un enterrement, la présence effective d’un prêtre est généralement présentée comme étant incontournable. Une des conséquences pratiques est la perte de temps qui en résulte et surtout le fait que l’aumônier laïc, connu dans son quartier ou unité, se trouve subitement flanqué d’un prêtre inconnu. Ce sont là des situations artificielles et incommodes, même si elles ne sont pas insurmontables. De même, pour l’aumônier laïc les situations d’urgence sont les plus difficiles. Il doit cependant être mentionné que de telles situations extrêmes sont rares et qu’elles ne forment donc pas un obstacle insurmontable pour le travail au quotidien.

De toute façon, les documents de Vatican II ont souligné et illustré les missions et les tâches possibles pour les laïcs. Une évolution qui ne fut certainement pas étrangère à cette prise en compte est le fait que les laïcs prennent de plus en plus de responsabilités dans les domaines de la pastorale des jeunes, des prisons, des hôpitaux et des Forces Armées. En 1998 et sur proposition de l’Aumônier Général d’alors, Roger Van den Berge, il devint ainsi possible à des laïcs de remplir la mission d’aumônier auprès des Forces Armées. Depuis lors, trois aumôniers laïcs furent acceptés tant par le Cardinal Danneels que par le Ministre de la Défense. Deux sont toujours en fonction.

PARTIE 2: L’AUMONIER LAÏC EN MISSION: TACHES ET EXPERIENCES

Cela ne vous paraîtra certainement pas étrange que l’histoire que je voudrais vous raconter dans les lignes qui suivent, qui se base sur l’expérience effective d’un aumônier laïc sur le terrain, ne diffère que très peux de celle de son collègue prêtre. Mon propos est donc de donner ici une large perspective des fonctions et aussi des  » qualités » nécessaires pour un aumônier en mission. Cependant quelques nuances, sans nul doute identifiables, seront nécessaires pour mettre en perspective la spécificité de notre problématique.

Pour cette analyse je me baserai sur les lignes de force identifiées dans une thèse de doctorat d’un aumônier irlandais, John Crowley, consacrée au soutien spirituel à l’étranger et plus spécifiquement à la place prise par l’aumônier au sein de l’unité. Sur base des résultats de ses travaux et en les confrontant avec mes expériences personnelles, je ferai une synthèse mettant en lumière les différences existantes entre le prêtre et l’aumônier laïc. J’illustrerai mon propos avec des fragments de mon journal personnel tenu durant mes missions au Kosovo en 2005 et 2006.

2.1. Construction des relations et soucis pastoral

Les axes prioritaires de quelque forme de pastorale militaire que ce soit, sont bien entendu les contacts effectifs avec les militaires (quel que soit le grade de ces deniers). Si cette définition semble s’imposer de manière logique, elle fait cependant l’impasse sur une série de réalités incontournables qui ont pour nom le caractère, l’humeur, la situation ponctuelle mais aussi dans le contexte particulier le rang. Sans vouloir simplifier à outrance mon propos, il est certain que le contact se  » fait » différemment avec un officier, sous-officier ou soldat. Cette contextualisation ne s’applique pas aux contacts informels que l’on peut avoir autour d’un verre, mais bien à ceux plus formels lorsqu’il s’agit d’identifier des problèmes dans le contexte du travail militaire effectif. La nature différente de la communication résulte certainement de la spécificité du travail et des circonstances dans lequel il prend place. Les problèmes, les observations et les analyses sont différentes. Il existe cependant aussi une série de constantes, les problèmes familiaux liés à l’éloignement et le  » réflexe du parapluie » qui sont deux des traits caractéristiques du mental du militaire en opérations.

La manière, mais aussi l’amplitude, avec laquelle ces questions sont abordées diffère bien entendu d’individu à individu. Ouverture ou réserve, banalisation ou dramatisation ne sont pas l’apanage d’une catégorie spécifique mais sont des sentiments purement humains et se rencontrent donc à tous les niveaux. A mon avis, il existe cependant un lien entre  » l’accessibilité » d’un militaire et son rang. Les officiers sont d’ordinaire d’un abord plus réservé. Il faut prouver soi même sa  » valeur » avant d’être considéré comme un interlocuteur digne d’intérêt. Mais comme dans d’autres domaines, l’exception confirme la règle. J’ai ainsi rencontré lors de mes missions des commandants qui étaient des modèles de tolérance et d’accessibilité. Ceci simplifie certainement les relations mais ne signifie nullement qu’il ne faut pas se montrer  » vrai » dans ses relations avec ses collègues.

Ceci est d’ailleurs un principe de base dans le contexte opérationnel: tout le travail pastoral est fonction de la manière dont l’aumônier est présent parmi les troupes. Le terme  » parmi » joue bien entendu ici une fonction centrale, car la qualité du travail de l’aumônier est d’autant plus grande (et également plus facile) qu’il est proche de la troupe. La confiance, la visibilité sont les qualités sur lesquelles il doit pouvoir compter.

C’est souvent un processus complexe de s’intégrer en tant qu’aumônier dans un battle group. Chaque situation particulière est bien entendu fonction de la disponibilité, de l’attitude et de la personnalité de l’aumônier, ainsi que de celle, si il est permis d’en parler ainsi, de l’unité. Si je me limite à une comparaison de mes deux dernières missions, je constate que l’unité dont j’avais la charge l’année passée, était plus difficile à  » amadouer » que la précédente. Ici également il est certain que divers facteurs entrent en ligne. Le courant passe t’il entre l’aumônier et l’unité, se connaissent-ils d’une mission précédente, quelle est l’attitude de certains  » leaders » de l’unité par rapport à l’aumônier? Les barrières de communication peuvent bien entendu être franchies grâce à l’expérience. Si il apparaît ainsi que l’aumônier est capable de faire face dans des situations de crise, si il sait réagir de manière adéquate dans ces circonstances, si il sait ce que l’on attend de lui, il fera généralement un bon effet sur le personnel présent. Une approche identique est valable pour les médecins. Eux aussi doivent vivre avec l’hypothèque initiale d’une situation personnelle perçue comme « privilégiée ». Il est exact que les deux fonctions peuvent être perçues comme éminemment confortables tant que rien de grave ne vient troubler la sérénité ambiante.

Ainsi, durant ma dernière mission un CRC (exercice visant à conditionner les réflexes en situation de crise) fut organisé autour d’un accident de circulation impliquant deux blessés. L’un des deux semblant être dans une situation critique, ce qui fut infirmé par la suite. Cependant l’attitude calme et professionnelle du docteur marqua de manière positive l’esprit des militaires présents et ceci malgré l’image négative dont lui et son service faisaient l’objet préalablement.

La démonstration peut bien entendu être faite en sens contraire. L’on me rapporta ainsi le cas d’un aumônier qui, à la prise de connaissance d’une tentative de suicide, fut pris de panique, faute de savoir comment réagir et fit part à qui voulait l’entendre de son ignorance. Une telle attitude est bien entendu perçue de manière négative et ruine toute crédibilité, tant vis-à-vis des témoins directs que de l’ensemble du battle group par le fait du bouche à oreille. Si une panique légère dans de telles situations peut être acceptable, l’image de calme et de sérénité que donne l’aumônier, en tant que figure clé dans un contexte d’opération, est de grande importance pour la bonne exécution de la suite de la mission. Celui qui n’est donc pas capable de rester maitre de soi dans des situations de ce type perd de sa crédibilité et sera irrémédiablement mis sur la touche à l’avenir.

Il peut également être difficile de se sentir accepté de but en blanc dans un battle group, quant l’on n’à pas une connaissance préalable de l’unité. Je parle ici d’un exemple vécu. En tant qu’aumônier de l’Ecole Royale Militaire je suis  » étranger » aux unités que j’accompagne en mission. Un des avantages est bien entendu que je démarre avec un compteur à zéro, sans préjugés dans un sens ou l’autre. Simultanément il me faut  » faire mes preuves » dans un délai très court et la pression qui est exercée sur moi n’est pas à sous estimer. Les premières semaines sont ainsi toujours très intensives. Celui qui veut (ou qui doit) se profiler en deux mois (en trois dans mon cas), n’a pas d’autres alternatives que de prendre directement sa place parmi les membres de la mission. Ce profiler (dans le bon sens du terme) c’est être présent et être soi même. Si l’on n’est pas soi même, la chose est rapidement constatée et parfois suffisante pour  » justifier » une perte de crédibilité. Dans un premier fragment du journal personnel que j’ai tenu lors de ma dernière mission je consignais ce qui suit:

« De la pâtisserie. Ce soir il y avait directement de la tarte pour le cadre. Beaucoup de crème fraiche peux de couque, en tous les cas de mon côté. La moitié s’est retrouvée dans la poubelle ; si je désire des calories, je trouverai bien quelque chose à mon goût (…). La tarte d’anniversaire offrait cependant l’occasion d’entamer le dialogue avec une série de personnes, car ne l’oublions pas dans ce domaine il reste du chemin à faire. Par ce canal des infos sont disponibles et il est plus facile de comprendre le contexte effectif. Prenons le docteur par exemple, jusqu’à présent je ne m’étais que très peux manifesté par rapport à lui. La tarte, de même manière que les drinks permettent (pour ne pas dire forcent) à entrer en relation avec les gens présents. Dans cette sorte de rencontre chacun se sent, tel un pingouin à la démarche hésitant, obligé d’opiner du bonnet face à ses congénères à l’attitude identique. »

Le fait de devoir être visible entre les individus -avec tout le caractère incontournable du fait- présente souvent un caractère irréel. Il s’agit d’une imposition extérieure et l’on est logiquement tenté dans de telles circonstances de maximaliser son investissement. Il en va également de même si l’on est en route durant toute la journée. Parfois les entretiens sont plus courts, parfois plus longs, mais en toutes circonstances l’on ébauche des stratégies (à petite échelle) afin de rendre ce premier contact le plus optimal possible. Jusqu’à un certain niveau une telle attitude est planifiable; l’importance du fait ne doit donc pas être sous estimée.

Mais il ne s’agit pas bien entendu d’être uniquement visible au bar ou dans les festivités d’un genre identique. Il s’agit avant tout d’être effectivement présent parmi les gens. Ceci veut dire concrètement dès que possible être présent sur le terrain sans  » gêner ». Le terrain étant le milieu effectif de travail du militaire. Ceci pouvant être un bureau dans la zone de maintenance ou une patrouille dans un touareg (une action ou bivouac hors zone avec logement en tente). Toutes ces localisations impliquent bien entendu des modalités de  » présence » différentes. Saluer et  » mesurer » la réaction de son interlocuteur peut prendre 10′ mais aussi beaucoup plus. Il va de soi que l’on reste nettement moins longtemps au bureau du RSM ou à celui du Commandant qu’au local de shift ou à l’infirmerie. Dans de tels endroits l’on est souvent heureux de votre visite et l’on est charmé du fait que vous avez le temps de boire la tasse de café que l’on vous propose. Un extrait de mon journal permet d’illustrer l’importance du rituel du café:
« J’écris encore quelques lignes et simultanément je continue  » ma tournée ». Comme vous le savez c’est pour cette fonction que je suis payé! En fait c’est plus complexe que cela, mais cela fait partie de la première phase du  » package » que j’offre dans le cadre de mes fonctions. Donc je me promène, je discute avec les gens, les salue et boit du café. Ce dernier geste prend au fil du temps toutes les caractéristiques d’un rituel social. Il y a toujours quelqu’un qui désire boire une tasse de café et le fait de se montrer à proximité de l’automate délivrant la précieuse boisson est interprété comme une preuve de socialisation. Bien que je n’aie que des besoins limités en café noir il est difficilement concevable pour moi d’être catalogué comme asocial. Va donc pour le café à dose intensive « 
La position physique occupée lors de ces rencontres se situe souvent au centre d’aires de travail. Le temps qu’on y reste est fonction de la charge de travail ponctuelle et celle-ci est en évolution constante. Parfois l’on sait que des salutations rapides seront suffisantes et à l’inverse un passage plus long peut également être nécessaire. Mais le plus grand groupe de militaires à rencontrer est constitué de ceux qui sont effectivement présents sur le terrain. Ce sont les pelotons ou sections en patrouille et ceux qui sont stationnés à l’extérieur du campement. Etre disposé à rester parmi ces personnes est bien entendu ce qui a le plus d’effets directs et le plus de résultats à terme. Cette sorte de présence et d’ouverture va créer une autorité indirecte sur laquelle il est possible de construire son  » image » en tant qu’aumônier. Ceci je l’ai encore constaté durant ma dernière mission quant j’ai à de nombreuses reprises prix part aux patrouilles en emportant ma tente et en dormant effectivement sur le terrain. La première fois il s’agit peut être d’un challenge, mais si l’action se répète avec les différentes sections, il est possible d’accumuler un certain capital de respect. L’on devient, malgré la distance qui persiste cependant, l’un des leurs. Ceci permet bien entendu en périodes de crise d’être accepté et de jouer un rôle important par rapport à l’unité. Ce sont ces contacts simples, journaliers qui forment la base nécessaire pour l’approfondissement ultérieur de ce qui autrement ne serait que la somme de rencontres formelles.

Je désirerais en rapport avec ce fait mettre en évidence, sur base du doctorat de John Crowley, le concept de mentoring, parce qu’il souligne l’importance de ce que je viens d’expliquer. La fonction de mentoring s’articule autour de 4 compétences noyaux: (1) soumission, (2) acceptation, (3) offre, (4) élargissement.

1. La première – soumission – vise à souligner le fait que celui qui fait la démarche ne doit pas tenter de prendre le processus sous contrôle. A l’inverse c’est ce genre d’attitude qui l’empêchera d’avoir la liberté nécessaire pour la découverte de nouveaux faits.
2. Acceptation signifie que celui qui est à l’origine de la démarche doit éviter tout jugement préalable. A l’inverse, c’est à lui de faire preuve d’une ouverture d’esprit maximale.
3. Offre souligne le fait que la démarche implique une action effective et entièrement désintéressée.
4. Enfin l’élargissement insiste sur la possibilité de faire dépasser à la relations ses frontières actuelles.

Tout ceci nous montre que le mentoring est une sorte de partenariat formateur, une alliance qui est fondée sur l’échange mutuel, l’indépendance et le respect et qui est marquée du sceau de l’authenticité. Ceci nous amène à quelques priorités incontournables dans ce contexte: elles visent avant tout à la création d’un environnement sécurisant dans lequel l’interlocuteur peut parler librement. Cette écoute sans à prioris vise à augmenter la connaissance de son interlocuteur et ne vise pas nécessairement à donner une réponse à chaque problématique spécifique.
La neutralité, le fait d’offrir des réponses crédibles, ne pas chercher à intimider, la manière douce dans la discussion, l’intérêt sincère et la disposition à l’écoute ou même à la discussion sont donc des notions centrales dans le mentoring. Il s’agit en fait d’une fonction qui n’est pas assurée seulement par l’aumônier mais aussi par la famille, les amis, les collègues. Un tel réseau dont fait partie l’aumônier soutient effectivement le militaire en mission. D’où en toute logique l’importance de la collaboration et le fait de se situer d’une manière nette en tant qu’aumônier au sein de celui-ci.

2.2. Positionnement et collaboration

Avant d’illustrer ces recherches de sens et ces collaborations il peut être intéressant d’approfondir le domaine du positionnement et de la collaboration. En effet, ces deux domaines font partie de la  » visibilité » de l’aumônier de son public. La manière dont on se profile par rapport aux autres services et la visibilité qui est créée au sein de toutes les structures d’appui influence la manière dont les militaires les considèrent et sont disposés à traiter avec ceux qui y travaillent.

Les aumôniers embrassent un champ de travail très important. Dans un monde ou la spécialisation devient de plus en plus grande, il ou elle peut se targuer du qualificatif de généraliste. Ceci ne signifie nullement que sa présence rend superflue d’autre structures d’appui comme les ombudsmans et psychologues. Bien au contraire, de par sa proximité avec le personnel il peut agir comme un baromètre de l’unité pour laquelle il ou elle est désigné. La fonction d’aumônier à sans nul doute des points de contact avec d’autres services qui visent d’une manière générale à assurer le bien être du militaire et de sa famille dans les nombreux aspects de la démarche. La fonction est donc entourée de démarches pluri formes – au sein des services sociaux de l’armée – ce qui a également conduit le service à se réorienter mais également à se professionnaliser. La sécularisation et la déchristianisation, de même que l’individualisation et le regroupement religieux ont depuis des années marqué la problématique. Les catholiques restent cependant au sein de cette évolution le groupe le plus représentatif. L’Eglise catholique est en effet restée présente dans les différentes subdivisions de la société et ceci tant dans les sphères privées que professionnelles. La vie professionnelle est par définition encrée dans l’itinéraire social, religieux et personnel de l’individu. Dans cette perspective, les deux aspects doivent être différenciés mais non scindés. Ceci ne vise pas à promouvoir la fin de la séparation Eglise-Etat, ce qui est un débat d’une toute autre nature. Non, c’est une approche qui refuse la « neutralité » comme elle est souvent présentée à l’heure actuelle et qui se limiterait à une attitude visant à promouvoir avant tout les comportement et les attitudes souhaités par la troupe.

Le service de l’aumônerie ne constitue en rien une menace ou un concurrent pour l’appui psychologique ou d’autres services semblables, bien du contraire. Ceci a à voir au en premier lieu avec deux caractéristiques. Il y a dans un premier temps l’aspect théologique et la vocation personnelle par laquelle un aumônier peut analyser, mettre en perspective une problématique et tenter de l’analyser. Ceci ne signifiant nullement que les aumôniers catholiques ne  » touchent » que les militaires partageant la même foi. Des militaires de tous horizons et de toutes origines s’adressent au service de l’aumônerie. Il est évident que le champ de responsabilités de l’aumônier les atteint au delà du (simple) prisme religieux. Les militaires qui font la démarche de se confier à l’aumônier savent pertinemment bien, encore et toujours à l’heure actuelle, ce qu’est la fonction d’un aumônier et dans quelle mesure ils peuvent faire appel à ses services. Ce savoir s’explique par la longue tradition et la présence séculaire de ses membres au sein des Forces Armées. La spécificité du service de l’aumônerie sera encore soulignée dans cette présentation de manière indirecte et en toile de fond de la description de ses fonctions effectives.

D’une part, l’aumônier de par sa présence effective parmi le personnel est un partenaire privilégié des autres services. Concrètement cela veut dire que dans toutes les unités une collaboration maximale est cherchée entre l’aumônier et les autres services d’assistance. En cas de nécessité l’aumônier pourra ainsi prévenir les services compétents de problèmes potentiels futurs ou de situations actuelles semblant sans issues. D’autre part, l’intervention de l’aumônier permettra souvent de trouver une solution plus  » humaine » à une problématique. Il est bien entendu également imaginable que l’aumônier transmette au service compétent une problématique pour laquelle il ou elle ne dispose pas des connaissances nécessaires. Un exemple de ceci peut être le traitement d’un profond problème psychologique.

Si l’aumônier est à même de faire comprendre aux militaires pourquoi et suivant quel angle d’approche il travaille, il sera reconnu et accepté mais aussi apprécié à sa juste valeur. Pendant une de mes missions je fis une mauvaise expérience dans ce domaine. Une personne avait été envoyée pour lutter contre les abus d’alcool et de stupéfiants. En soi une initiative très louable, mais en pratique plusieurs aspects pausaient problèmes. En premier lieu elle ne parvint pas à convaincre le personnel qu’elle n’était pas une  » espionne ». Ensuite et les deux faits peuvent être liés, elle n’arrivait pas à donner une synthèse concise et globale de la nature de son travail. Enfin elle n’avait été envoyée que pour 14 jours, ce qui renforça encore le sentiment d’espionnage général. En conséquence j’inscrivis ce qui suit dans mon journal:

« Je l’ai déjà souvent signalé, et j’ai déjà essayé à de multiples reprises tenté de clarifier la situation au sein du service de l’aumônerie: tout un chacun doit être capable de se définir en tant que service et en tant que personne en précisant le contenu, l’objectif et les moyens de sa mission. Chez nous (pas exclusivement chez  » nous » bien entendu) il est nécessaire d’y ajouter la largesse du champ d’approche et une connaissance conséquente. Avant tout plaçons cependant l’importance d’un profil ouvert aux autres avec tout ce que ceci comporte de risques tant dans la spécificité que dans la diversité. De ce point de vue, être à même se définir de l’intérieur vers le monde extérieur n’est pas toujours une chose aisée. »

Cette énumération montre la nécessité d’adopter en toutes circonstances un profil net ainsi qu’une identité reconnaissable et acceptable. Nous mêmes, en tant qu’aumôniers, avons l’avantage de pouvoir nous reposer sur une tradition séculaire. Nombreux sont ceux qui nous ont précédés et les  » hommes » savent ce pour quoi nous sommes présents et de quelle manière ils peuvent compter sur nous. Le Padre en mission est donc un concept. Ceci n’empêche pas qu’en chaque circonstance il s’agit d’un nouveau challenge visant à démonter le fait, sachant que cela implique la construction d’un jeu de relations avec les responsables des autres services et plus spécifiquement avec les COM (Conseillers en Opérations Mentales – psychologues).

2.3. Recherche de sens

La recherche de sens est un élément fondamental du travail d’un aumônier. Chacun étant d’une manière ou d’une autre confronté avec la problématique de la recherche de sens, certainement si il est confronté avec des situations de crise. Ceci est certainement le cas quant des militaires se trouvent confrontés aux spécificités étranges et inconnues inhérentes aux conflits à l’étranger. Les confrontations (parfois traumatisantes) avec la mort qui en font partie sont souvent des souvenirs dramatiques. A ce titre, il est évident qu’il existe une différence nette à l’heure actuelle entre une mission au Kosovo ou en Afghanistan.

La recherche de sens dans la vie d’une personne se matérialise principalement en racontant des histoires. Les gens racontent leur vie car ceci leur donne la possibilité de prendre du champ et de découvrir les liens entre les évènements. De cette manière les gens arrivent à avoir de la prise sur les tragédies, les drames et leurs préoccupations quotidiennes. Sans pour autant exagérer l’on peut ainsi estimer que la fonction de l’aumônier en mission consiste pour la plus grande part à écouter des histoires ou la solitude, la séparation, l’angoisse et le doute jouent un rôle fondamental. Ces doutes peuvent également concerner l’objectif de la mission en elle même ou une décision (incomprise) prise par l’échelon supérieur. J’illustre ces problématiques par les extraits suivants de mon journal :

« Savez-vous ce que c’est de vivre ici au quotidien? Vous pensez que vous pouvez y échapper, mais finalement tout un chacun qui est embarqué dans cette aventure est obligé d’en accepter les règles. Il faut pouvoir faire une pose, s’imprégner de la situation et laisser les choses pour ce qu’elles sont en sachant cependant que certaines doivent être démasquées et si nécessaire être dénoncées comme un fait répréhensible et non comme une règle de conduite. Celui qui réussit ce challenge, qui peut prétendre avoir ce pouvoir, peut apprécier la vie comme jamais auparavant, avec en corollaire le risque de la voir comme il ne désire pas la voir. Noyé ou emporté dans le flot de la société, l’individu se doit de chercher des repères si il ne désire pas être submergé. Ainsi vont les choses ici en mission, individu au sein d’un groupe plus important lui-même partie d’un tout parfois difficilement identifiable. Celui qui se pose trop de questions ferait mieux de rentrer chez lui directement. Celui qui ne s’en pose pas n’a finalement rien à faire ici. »

Dans ce contexte nous pouvons donc replacer la recherche de sens dans le cadre de la communication, du dialogue, de la construction et de la récitation d’histoires personnelles. La fonction de l’aumônier est donc de rendre ceci possible en créant l’espace nécessaire pour le faire.

Il ne s’agit donc pas uniquement d’une mise en perspective de ce qui c’est passé se limitant aux questions du « pourquoi » pour lesquelles une réponse n’est pas finalement nécessairement souhaitée. Non, l’accent est mis sur la recherche du sens éthique profond de certaines situations ou décisions. Ces questions sont souvent liées à des problématiques religieuses et forcent l’aumônier à prendre une position spécifique. Il ne s’agit donc pas uniquement de se préparer et d’être prêt en théorie pour ce genre de problématique mais aussi de pouvoir y répondre d’une manière appropriée.

2.4. Conseils et leadership

Le travail d’un aumônier comprend également une forme de leadership, un leadership de service. Il s’agit donc bien ici d’une forme de leadership dans laquelle le service des autres occupe une fonction centrale. L’accent étant mis ici sur un engagement intensif au profit des autres, un besoin de travail en commun qui se matérialise par une participation effective au processus de décision et qui supprime la nécessité d’un contrôle indépendant des évènements. Dans la pratique ceci signifie écouter d’une manière réceptive ce que les gens ont à dire, accepter les autres, avoir de l’intuition et de la perception. Il est cependant nécessaire de disposer de capacités de persuasion, de synthèse de communication et d’avoir la capacité d’influer sur les individus et les institutions. Le fait d’avoir des capacités contemplatives ainsi que l’acceptation du leadership de service débute avec le désir de vouloir se changer soi même. Il est donc possible de replacer effectivement cette démarche dans le cadre des mots de l’évangile  » Je suis venu pour servir et non pour être servis » (Mt. 20,27).

Un aspect supplémentaire se doit d’être encore souligné ici. La nécessité d’une présence effective combinée à une ouverture véritable et à un intérêt effectif pour la personne humaine. Il s’agit donc bien de pouvoir aller au-delà du (simple) fait de pouvoir pardonner à soi et aux autres. Un lien effectif est à faire avec la confiance que l’on a en soi même et celle que les autres nous accordent. Ceci est vraiment le fondement indispensable pour pouvoir entretenir une relation authentique. Les leaders des futurs se doivent donc d’être ouvert, curieux et empathiques. De plus, ils doivent être disposés et accepter d’être confrontés avec le scepticisme et la critique. Ceci étant à recadrer dans un processus d’aprentissage continuel.

Dans le cadre de son  » leadership » l’aumônier joue également un rôle d’enrichissement complémentaire à celui du commandement. Vous partagez en tant qu’aumônier une partie du « leadership », mais vu d’un autre point de vue et avec une finalité plus proche. L’objectif de l’aumônier n’est pas directement la réussite de la mission au premier chef, mais bien sa réussite par l’intermédiaire de la  » guidance » et de la satisfaction individuelle des militaires qui y participent. Cette participation indirecte est indissociable du succès de la mission en elle même et est source d’épanouissement personnel. Quant la collaboration entre le Commandement et l’aumônier n’est pas effective, l’impact négatif est perceptible sur l’unité. Au cours d’une de mes trois missions, j’ai malheureusement été confronté personnellement à une telle situation. J’en ai retiré de nombreux enseignements globaux à titre personnel, mais surtout focalisés sur les conséquences engendrées par un manque de reconnaissance des spécificités de chacun et du risque d’instrumentalisation qui en découle. J’illustre ce fait précis en me basant sur un autre extrait de mon journal. Le contenu de celui-ci, chaque terme à son importance, sera analysé ensuite dans la perspective de cette participation:

« Le Doc, le RMO et le padre (ces deux derniers ensemble) doivent rédiger un rapport sur quelqu’un qui semble ne plus  » fonctionner » comme il se doit au sein du groupe. Le CO désire un appui et il souhaite que nous le lui fournissions. Le rapport, que nous sommes disposés à rédiger est attendu pour 15Hr. Le RMO et moi même formons un miniteam qui consacre l’ensemble de la matinée à la recherche d’informations afin de préciser notre vision du militaire X. Quel est le problème? X Etait l’ami d’un militaire renvoyé au pays pour alcoolisme et agression verbale. D’une certaine manière X était impliqué dans ces faits délictueux mais il avait eu l’intelligence de se retirer à temps. Si il pouvait rester il lui fut cependant signifié que le moindre écart signifierait également son renvoi. Hier matin l’erreur fatale avait été commise. Lors du drill de rentrée au camp, il était apparu que son arme était encore chargée. Conséquence, un coup tiré dans le tuyau de sécurité à l’entrée du camp. Résultat, il était devenu le N° 3 dans son cas de cette mission. De plus il tirait déjà une série considérable de  » casseroles ».
Ceci était à la base de la colère du CO. Pour lui la messe était dite, X devait être renvoyé en Belgique. Nous étions donc en conséquence à la recherche des informations nécessaires. De gauche à droite, d’avant en arrière nous étions à la recherche de faits marquants. Quant arrive l’heure de se mettre effectivement  » à table », le RMO et moi même avons une vision précise sur la personnalité du militaire incriminé et comment il fonctionne. Soyons honnête, ce qui semblait couler de source ce matin ne semble plus aussi évident. Kim et moi même constatons qu’il nous est impossible et inacceptable, en âme et conscience, d’écrire dans ce rapport ce que le CO attend de nous pour appuyer sa décision. Nous biffons ce que nous avons écrits et allons l’entretenir de vive voie du résultat de nos recherches et simultanément remettre en question le bien fondé de sa décision. Grande est cependant notre surprise quant nous constatons que ceci n’est pas à première vue très important pour lui. Notre avis ne semble compter qu’à partir du moment ou il est conforme à son propre point de vue. Même les arguments conjugués du RMO et de l’aumôner sont considérées comme sans valeur car sa conclusion est « bon dans ce cas je me passerai de votre rapport ». Ceci renforcera encore notre décision ultérieure de refuser catégoriquement la rédaction d’un rapport dans le sens demandé, fut-il de nature fragmentaire.
(…) Indépendamment de notre recherches, il apparaît également que le doc refuse de rédiger un rapport suivant les souhaits du CO. Je crois que hier et ceci jusqu’à la fin de la mission, ce dernier s’est volontairement séparé de trois de ses conseillers. »

La question initiale nous avait été adressée par le CO sur base de la reconnaissance de nos fonctions de RMO, de docteur et d’aumônier. Cependant, s’il apparaît que nos avis ne sont pas en phase avec le sien, il devient clair qu’ils ne valent plus la peine d’être pris en compte. Cette prise de position du CO est inacceptable car elle a conduit à un court-circuitage permanent entre lui et nos services. Une hypothèque importante avait été mise sur la confiance réciproque et les conséquences en période de crise auraient été sans nul doute importantes. Heureusement, nous n’avons pas été confrontés à de telles extrémités. Finalement le plus grave était le fait que le CO était confronté simultanément à une critique de ses hommes et qu’il était en conséquence d’autant plus difficile pour nous de soutenir au quotidien son commandement. Heureusement, la collaboration et l’entente entre le doc, le RMO et l’aumônier resteront excellentes durant tout le reste de la période. Le fait que j’en ai gardé longtemps des séquelles, jusqu’à maintenant, est perceptible à la lecture d’un autre extrait de mon journal annoté lors de ma mission de l’année suivante :

« L’atmosphère est accessible et agréable. Chacun est le bienvenu. Quelle différence avec l’année passée ou l’indécision du CO se traduisait par de l’arrogance et des comportements dictatoriaux. Il est évident pour moi que l’expérience présente sera à nouveau totalement différente des autres. Cette fois nous avons de nouveau un capitaine aux commandes, mais celui-ci jouit d’une autorité naturelle et d’un rayonnement limité. Les deux n’étant pas inconciliables. »

Immédiatement le lien est fait avec les expériences négatives précédentes. Une partie due à la prudence, une partie par crainte qu’une telle expérience se reproduise. L’expérience montre cependant que la relation entre l’aumônier (ainsi que les autres services) et le commandement est très importante pour le succès de la mission. Cette entente doit être cultivée journellement car elle peut s’enliser dans la confrontation des personnalités. Fondamental est donc la reconnaissance des différents services, de leurs spécificités, de leur responsabilité et de l’importance de leur travail propre. Quant un service  » profite » du travail des autres ou qu’il se contente de l’utiliser les bases mêmes de l’entente sont altérées.

2.5. Rituels

Les rituels furent et sont toujours utilisés pour marquer les passages. Ils existent dans toutes les cultures et facilitent le passage d’une phase de la vie à une autre. Ils rendent donc possible le franchissement de seuils. C’est l’aumônier qui conduit la prière. Du point de vue du public ceci signifie l’administration des sacrements de l’Eglise Catholique et la conduite des différentes cérémonies, comme par exemple en cas de décès. Les rituels sont donc plus que de la communication à différents niveaux. Entre les personnes, au sein d’un groupe ou dans toute autre forme de relation avec son entourage naturel. Ils jouent un rôle important dans l’apparition d’une culture commune et renforcent le sentiment d’unité. A ce titre, ils sont capables de créer un sentiment de cohésion et d’appartenance à une unité commune.

C’est à ce niveau qu’il est utile de faire la différence entre les aumôniers prêtres et laïcs. Le laïc ne peut pas administrer de sacrements, mais peut seulement proposer un moment de réflexion ou un commentaire d’une lecture. Cela peut certainement constituer un problème pour des Français, comme l’expérience me l’a montré, mais rarement pour les militaires belges. Bien qu’une différence soit faite entre une eucharistie et une liturgie de la parole, en pratique il n’y a pratiquement pas de différence perceptible de comportement (le fait de participer ou pas au service religieux) dans le chef des militaires belges. N’oublions pas que le militaire belge est en effet (très) faiblement assidu aux offices dominicaux en temps ordinaires. Cependant, il n’en est pas de même lors de circonstances plus pénibles et certainement pas –comme constaté de visu- lors de moments forts de l’année liturgique (par exemple lors de la fête de Pâques). Les autres sacrements n’ont en principe pas de raison d’être distribués lors d’une période d’opération et dans les faits la différence  » visible » entre prêtre et laïc reste finalement très limitée. L’attitude du militaire vis-à-vis de l’aumônier n’est en rien conditionnée par la capacité effective de ce dernier d’administrer les sacrements mais bien au premier chef par son comportement comme personne et sa capacité de s’inscrire dans le groupe. La subdivision prêtre laïc, si elle n’est pas source de débats animés en Belgique peut cependant amener des questionnements plus profonds en milieu international. Ce fait m’est apparu en pleine lumière lors de ma dernière mission comme en témoigne l’extrait qui suit de mon journal personnel :

« Etre aumônier laïc constitue bien une expérience particulière. L’attitude fondamentalement différente à mon égard de mes collègues protestants par rapport à celle des aumôniers catholiques fut encore mise en évidence hier soir. Si les premiers me considèrent comme l’un des leurs (avec l’espoir secret de voir en moi celui qui a enfin  » compris »), les prêtres catholiques me regardent d’un regard inquisiteur en fronçant les sourcils dès que mon identité de laïc est « mise à jour ». Comment est-ce possible ? Les Protestants font de leur mieux pour m’accueillir alors que l’attitude des Catholiques laisse parfois percer le sentiment qu’ils seraient plus à l’aise à mon égard si j’étais issus de la réforme! La différence nette entre « mon frère », qui est le qualificatif qu’ils veulent bien me donner et « mon père », qui est considéré comme un titre usurpé est bien palpable. Cependant pour garder ma crédibilité par rapport à mon  » public » il est préférable de ne pas trop épiloguer sur ce fait en présence de prêtres catholiques. Je me retrouve donc de fait dans une sorte de zone grise étant pour les deux extrêmes un phénomène. Pour les uns une curiosité, pour les autres (ce sont surtout les Italiens et les Espagnols qui me regardent d’un air inquisiteur) un exemple de plus des conséquences du libéralisme excessif de l’Eglise. Cependant, à mes yeux tous se trompent et je sais qu’après quelques verres de vin, même les catholiques me considéreront comme l’un des leurs. Ce qui les rassemble par contre c’est le fait que le point central de leur  » jugement » est ma « qualité » de laïc. Tout le reste n’ayant en fait pour eux qu’une importance secondaire. »

J’ai ainsi eu une très bonne relation avec un aumônier français, mais en aparté il n’hésitait cependant pas à dire qu’à ses yeux un aumônier laïc n’avait pas les mêmes  » qualités » qu’un vrai. Ainsi, il était disposé à organiser une eucharistie avec moi mais cela signifiait concrètement que mon rôle se limiterait à une lecture (certainement pas l’évangile) en Néerlandais. Etre avec lui derrière l’hôtel était exclu d’office. J’ai cependant eu l’occasion de discuter ouvertement avec lui de la problématique comme en témoigne l’extrait suivant de mon journal rédigé dans les derniers jours de sa présence dans le compound:

« Cela reste difficile pour lui (l’aumônier français) et difficilement acceptable qu’au sein de l’Armée belge les conseillers moraux (soit les représentants de la laïcité) aient une position identique à celle des aumôniers. Son sentiment est du même ordre que celui qu’il nourrit à l’encontre des moments écumé niques (à la  » Taizé ») qui sont fort en vogue au sein de l’Armée allemande. Au sein du diocèse auprès de l’Armée française de telles  » compromissions » sont impensables. En fait, il place personnellement cette ouverture sur le même degré que le fait que je prétende prendre une place à ses cotés derrière l’hôtel, car c’est  » ma place » dit Dominique. De cette manière nous sommes entrainés dans le débat théologique et mon argumentation met en exergue qu’à l’exception notable de l’eucharistie je puis participer à tous les autres gestes de la liturgie. Cette perspective l’afflige et malgré son ouverture d’esprit le fait reste inacceptable pour lui. Malgré la valeur de mon argumentation son refus reste total. Je décide d’en rajouter  » une couche » en lui racontant comment je travaille à Everberg et Meerbeek avec Emiel (le curé attitré) et quelle est la réaction positive des gens. Il doute mais il ne faiblit pas et reste stoïque. Sa porte de sortie est de faire référence au sensus fidei, argumentation pour laquelle il a entièrement raison dans le contexte typiquement français. Je voudrais lui demander ce qu’il proposerait dans notre situation et qu’elle est sa position vis à vis des liturgies de la parole, ce qui constitue encore une étape supplémentaire, mais l’heure de son départ effectif intervient trop tôt. »

La manière dont il m’appréciait effectivement, en tant que laïc à la place d’un prêtre, devint encore plus claire lors d’une discussion que je l’entendis tenir avec son collègue sur la problématique de l’envoi de diacres au Kosovo. Sa hiérarchie en avait décidé ainsi et malgré le fait qu’il ne puisse pas être considéré comme des plus conservateurs, le fait que son expérience  » d’aumônier en mission », n’avait pas été prise en compte lui restait au travers de la gorge:

« Encore une précision: la place de l’aumônier laïc au sein du service de l’aumônerie lors des missions. Il y avait visiblement un  » problème » avec le fait qu’un diacre français devait venir à partir de juin à Novo Selo [nom d’un compound français Kosovo] et qu’il exercerait sans la présence d’un prêtre. Le prêtre reste encore considéré comme l’incontournable dans ce genre de situation. La présence d’un laïc est donc mise en cause car il n’est pas autorisé à conduire une eucharistie, chose qui est considérée comme « indispensable ». La liturgie de la parole comme (heureusement) nous la connaissons de plus en plus afin de remplir les vides est pour lui taxée d’un « no go » définitif. Dans ce but, il sera plus que probablement demandé à mon successeur de prendre part à un système qui devrait permettre à l’aumônier français (le « vrai ») de desservir en plus de Belvédère et Plana également Novo Selo. Ce matin l’aumônier français précisa également qu’il envisageait aussi de tenir des célébrations à Pristina, sachant que l’aumônier présent sur place (un Italien) ne parle pas la langue de Voltaire. En ce qui me concerne je n’ai pas une vision très précise sur la situation de l’Eglise en France. Il est clair qu’ils sont confrontés, comme ailleurs, avec un manque de prêtres. Cependant, au vu de ce qui se passe ici le problème semble se poser avec une intensité moins importante. Ceci pourrait donc expliquer pourquoi il y a une telle résistance à l’évolution des cérémonies. La raison pouvant s’expliquer par la conviction profonde que l’eucharistie est par excellence le dernier sacrement qui doit  » succomber » par manque d’officiants. Simultanément le respect des règles de la tradition est fortement ancré. Le prêtre est derrière l’hôtel, éventuellement assisté (mais pas plus) par un diacre. La place derrière l’hôtel reste cependant zone interdite pour le diacre si il est seul. Cette attitude est nettement préconciliaire, c’est un rejet du fait que le laïc peut et doit apporter son appui à la célébration. Le concept, bien qu’il reste vague, n’est certainement pas interprété d’une manière aussi libre qu’en Belgique. Personnellement je considère comme un  » manque » le fait de ne pas avoir encore su prendre en compte tout ce que les laïcs peuvent apporter à une célébration. A ce titre je remercie la majorité de mes collègues aumôniers en Belgique d’avoir bien fait ce pas effectif. »

Si l’aumônier laïc peut donc être considéré comme un fait acquis en Belgique et profiter d’une appréciation généralement positive, ce n’est pas nécessairement le cas à l’étranger. Dans des pays comme la France, ou il est encore possible de trouver des prêtres pour faire le travail et ou règne encore une certaine forme de conservatisme, les esprits ne sont pas encore effectivement murs. Les Néerlandais et les Allemands sont dans ce domaine indiscutablement nettement plus loin dans leur politique d’ouverture.

2.6. Capacité d’apprentissage et disponibilité

Travailler durant des missions est aussi un processus d’apprentissage pour l’aumônier. Cet apprentissage est à considérer ici dans son sens le plus large : a propos de soi, des autres, de la région dans laquelle on se situe, du bien et du mal et a propos de la psychologie de l’humain. C’est aussi l’occasion de s’approfondir dans le domaine de la théologie et pas uniquement chrétienne (car cette demande existe). Crowley parle ainsi d’une « recréation » de soi même. Une recréation qui permet à l’aumônier de porter à terme un regard plus précis sur la réalité. Cette capacité de remise en cause peut bien entendu être utile par quant l’aumônier sera effectivement confronté à des évènements pour lesquels son aide est demandée. Mais il ne faut cependant pas oublier que tout apprentissage est un processus de longue haleine avec l’appréciation des erreurs, la réception de feedback et enfin la prise en compte des modifications indispensables. L’apprentissage est donc effectivement un processus central dans la manière que l’aumônier – laïc ou prêtre – remplit son devoir pastoral.

2.7. Conclusions

La fonction d’aumônier laïc reste pour beaucoup de militaires une surprise. Jusqu’à maintenant je rencontre des militaires qui, huit ans après l’acceptation de laïcs pour cette fonction, sont étonnés mais aussi intéressés d’entendre l’histoire de mon parcours. Pour beaucoup d’entre eux le fait témoigne d’une surprenante ouverture d’esprit de l’Eglise. Un véritable pas en avant sans aucun doute. Les réactions négatives sont peux nombreuses et sont rarement directement exprimées. Pour certains, principalement d’une plus vieille génération, le prêtre dispose toujours de la magie du sacerdoce et un aumônier laïc constitue donc effectivement un pis aller. Pour la grande majorité de nos militaires la différence entre laïc et prêtre est de faible ou sans importance.

Malgré l’ouverture limitée (avec raison) du Concile Vatican II, il date maintenant quant même de quarante ans, la perception de la fonction des laïcs reste duale sur le plan international. D’un coté les aumôniers laïcs sont effectivement acceptés mais simultanément aux yeux de certains collègues prêtres ils ne jouent qu’un rôle marginal. Ce n’est pas pour rien que je fus présenté lors d’une cérémonie officielle comme étant son  » assistant » par mon collègue français. Ce pourquoi après une remarque cynique de ma part il s’excusera ultérieurement. Le fait est illustratif de la perception et démontre que cette dernière est évolutive en fonction du pays d’origine. Les Français et les Allemands ont ainsi des attitudes entièrement différentes en ce qui concerne l’aumônier laïc en mission. Si les Français ont déjà difficile à accepter les diacres les Allemands par contre sont nettement plus ouverts aux Pastoralreferenten.

La différence entre prêtres et laïcs n’est vraiment perceptible en mission que lors des moments sacramentels et plus spécifiquement lors de l’eucharistie. En Belgique, peux de militaires recherchent effectivement des eucharisties  » véritables » ce qui a pour conséquence que le problème se réduit finalement à peux de choses. En ce qui concerne l’accompagnement et la guidance des militaires, ce qui constitue le ‘core busines’ de l’aumônier, il n’y a pas de différences entre prêtres et laïcs. N’empêche, il sera toujours nécessaire que l’aumônier puisse se baser sur une base théologique large et soit capable et disposé d’évoluer dans ce domaine.
Comme il est apparu dans cet exposé, la mission de l’aumônier est centrale lors d’une mission et elle demande de nombreuses capacités. Parfois l’on parle en souriant  » des vacances » de l’aumônier en mission et il exact qu’il ou elle dispose d’une grande liberté et peut remplir ses journées comme il l’entend. Mais lors des moments de crise, il ou elle doivent prouver qu’ils peuvent garder la tête froide. Heureusement, les moments de crise restent marginaux. Il est certain qu’en ces moments l’aumônier est incontournable tant pour les paroles qui réconfortent que pour les rituels qui sont demandés. Que ces derniers soient nécessaires pour consoler ou pour exprimer des émotions collectives. Dans ce but une bonne entente est non seulement nécessaire avec le commandement mais aussi avec les autres intervenants: RMO et arrière-garde.

Information supplémentaire

Un grand merci au Cdt Michel Aerts pour la traduction cet article.

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